Institut Supérieur de Rééducation Psychomotrice

REGARD PSYCHOMOTEUR SUR LA DEFICIENCE VISUELLE AU COURS DE LA VIE

Approches psychomotrices et sensorielles des déficiences visuelles précoces et tardives

Mémoire présenté par Clarisse TRANCHON En vue de l’obtention du Diplôme d’Etat de Psychomotricité

Référent de mémoire : Session de juin 2008

Mme Sophie BOUARD

Institut Supérieur de Rééducation Psychomotrice

REGARD PSYCHOMOTEUR SUR LA DEFICIENCE VISUELLE AU COURS DE LA VIE

Approches psychomotrices et sensorielles des déficiences visuelles précoces et tardives

Mémoire présenté par Clarisse TRANCHON

En vue de l’obtention du Diplôme d’Etat de Psychomotricité

Référent de mémoire : Session de juin 2008

Mme Sophie BOUARD

Afin de rendre mon mémoire accessible à tous, j’ai choisi de l’imprimer en écriture « Arial » pour faciliter la lecture après grossissement et de le réaliser en version audio.

REMERCIEMENTS

Je tiens à remercier : Madame Sophie Bouard, mon maître de stage et référent de mémoire, pour sa

confiance, ses conseils, son soutien et sa disponibilité qu’elle m’a témoigné tout au long de l’année. Madame Angélique Guyard, mon maître de stage, pour son accueil et ses remarques

formatrices sur le plan personnel et professionnel.

L’ensemble des équipes, pour son accueil, ses éclaircissements et ses échanges constructifs. Les patients (personnes âgées et enfants) et tout particulièrement Madame B et

Raphaël mais aussi tous les autres avec lesquels j’ai appris énormément. Mes lecteurs pour la réalisation de la version audio de mon mémoire. Ma famille et mes amis pour le soutien qu’ils ont su m’apporter.

SOMMAIRE

INTRODUCTION1
PARTIE THEORIQUE2
- LA VISION3
1.Naissance anatomique et physiologique du système visuel3
2.Fonctions de la vision4
3.Vieillissement anatomique et physiologique du système visuel6
- DEFICIENCES VISUELLES7
1.Définitions7
La malvoyance7
La cécité7
2.Classifications8
3.Pathologies visuelles au fil de la vie8
Pathologie visuelle précoce en lien avec un syndrome rare : le syndrome de Morsier9
Pathologie visuelle tardive en lien avec l’anatomie et le fonctionnement du système visuel: la Dégénérescence Maculaire Lié à l’Age (DMLA) 11
DEFICIENCES VISUELLES AU FIL DE LA VIE ET PSYCHOMOTRICITE13
Déficience visuelle précoce13
Interaction, relation et langage13
Développement sensoriel14
Développement psychomoteur16
Motricité17
Rapport au corps20
Espace20
Spécificités observées chez l’enfant aveugle21
Déficience visuelle tardive22
Brutalité de l’apparition de la déficience visuelle22
Particularité de la déficience visuelle chez la personne âgée23
Aspects sensoriels23
Aspect psychomoteur24
Motricité24
Rapport au corps26
Espace27
Aspect psychologique27
Projets thérapeutiques28
Éléments spécifiques à prendre en compte dans la prise en charge psychomotrice d’un enfant déficient visuel précoce 29
Eléments spécifiques à prendre en compte dans la prise en charge psychomotrice d’une personne déficiente visuelle tardive30
Eléments communs aux deux types de prise en charge31
PARTIE CLINIQUE33
INSTITUTIONS ACCUEILLANT DES PERSONNES DEFICIENTES VISUELLES34
Institut Médico-Educatif (IME)34
L’institution et sa population34
Une équipe pluridisciplinaire34
Une prise en charge spécifique 35
Les objectifs psychomoteurs35
Maison de retraite36
L’institution et ses résidants36
L’équipe37
Projet d’activités 38
ETUDES DE CAS39
Présentation de Raphaël39
Autres bilans39
Evaluation psychomotrice41
Projet thérapeutique42
Evolution43
Présentation de Mme B47
Autres bilans48
Evaluation psychomotrice49
Projet thérapeutique51
Evolution52
PARTIE DISCUSSION56
Spécificité entre les médiateurs choisis et la précocité de la déficience visuelle57
Domaines de compensation et troubles associés en fonction de la précocité de la déficience. 62
Déficiences visuelles précoces et tardives en institution66 BIBLIOGRAPHIE LEXIQUE ANNEXES
CONCLUSION73

INTRODUCTION

Suite à un stage de formation sur la déficience visuelle et des expériences sous bandeau, j’ai voulu comprendre les stratégies de substitution utilisées par la personne déficiente visuelle pour maintenir son autonomie et les conséquences psychomotrices qui en découlent.

Selon l’enquête HID (handicap, incapacité, dépendance) de 2005, la France recense 1 700 000 déficients visuels dont 207 000 aveugles ou malvoyants profonds, 932 000 malvoyants moyens et 560 000 malvoyants légers (définitions dans la théorie). La prévalence des déficiences visuelles augmente fortement avec l’âge. La réduction de l’autonomie dans la vie quotidienne est l’une des principales conséquences des déficiences visuelles.

Au cours de mes recherches théoriques, sont ressorties des différences importantes entre la malvoyance et la cécité mais aussi entre une déficience visuelle précoce et tardive c’est pourquoi, j’ai voulu aborder les différences et les points communs dans les compensations et les retentissements psychomoteurs. Pour cela, j’ai choisi d’étudier la prise en charge psychomotrice d’un enfant aveugle congénital et d’une personne âgée malvoyante tardive.

La psychomotricité, par son approche psycho-corporelle, peut aider les personnes déficientes visuelles à s’adapter et acquérir, conserver ou retrouver une autonomie. Pour cela, elle facilite les capacités de prise de repères sensoriels et corporels dans l’espace. Quel regard le psychomotricien porte t-il sur la déficience visuelle au cours de la vie ? Quels sont les différences et les points communs dans la prise en charge psychomotrice d’une personne déficiente visuelle précoce ou tardive ? Ainsi, j’ai basé ma réflexion sur le parallèle entre la prise en charge psychomotrice et sensorielle d’un enfant aveugle précoce et d’une personne vieillissante malvoyante tardive.

Afin d’éclaircir et d’étayer cette réflexion, j’étudierai, dans un premier temps, la vision et ses fonctions puis les différents déficits visuels en m’intéressant particulièrement aux pathologies visuelles précoces et tardives des cas cliniques que je développerai dans la partie clinique. Enfin, j’aborderai les conséquences psychomotrices et sensorielles liées aux déficiences visuelles précoces et tardives, ainsi que les projets thérapeutiques possibles. Je développerai, dans un second temps, les prises en charge, d’un enfant aveugle et d’une personne âgée malvoyante. Dans une dernière partie, je ferai part de mes observations sur les points communs et les différences rencontrés ainsi que de mes interrogations sur les prises en charge de la déficience visuelle en psychomotricité.

PARTIE THEORIQUE

I

LA VISION

« La vision est le sens le plus développé chez l'être humain » (E.N.Marieb, 1999, p. 544).

La vision, très investie par l’espèce humaine, est modifiée par le temps tout au long de la vie. La vision est définie, par Le Petit Larousse Illustré 2006, comme la fonction permettant à l’œil de voir, de percevoir la lumière, les couleurs, les formes et les reliefs des objets, et d’apprécier les distances et les mouvements. Pour cela, l’homme utilise ses yeux, qui captent et codent (par transduction) la lumière qui pénètre dans l'œil, et le cerveau qui interprète ces signaux et forme les images du monde qui nous entoure.

Il semble important, au travers de cette partie, d’exposer la naissance anatomique et physiologique du système visuel, de donner les principales fonctions de la vision et de terminer par le vieillissement anatomique et physiologique du système visuel.

1. Naissance anatomique et physiologique du système visuel

Selon E. N. Marieb (1999), à la quatrième semaine du développement embryonnaire, l'oeil commence à s'élaborer dans la vésicule optique, partie de la paroi latérale du diencéphale qui sera à l’origine de la rétine*. Bientôt, la base du nerf optique* se forme. Peu de temps après, se forme le cristallin*. La partie nerveuse et pigmentaire de la rétine est produite ensuite.

Avant même que ne se développent les portions photosensibles des photorécepteurs*, les connexions sont établies et opérantes dans l'encéphale. Dans l'obscurité de l'utérus, le foetus ne voit pas. Cependant, pour E. Vurpillot (L’aube des sens p.76) « 7 mois après la conception, le bébé voit ». Des mesures effectuées chez des femmes enceintes ont montré qu’une forte lumière dirigée sur leur abdomen était transmise à l’utérus, dont une partie de la lumière externe atteindrait la rétine fœtale, à travers les paupières ou directement si ses dernières sont ouvertes.

En règle générale, la vue est le seul sens qui ne soit pas pleinement opérant à la naissance. La plupart des bébés sont hypermétropes*, car leur bulbe de l'œil est court. Le nouveau-né ne voit que des nuances de gris, ne coordonnent pas ses mouvements oculaires et n'utilise souvent qu'un œil à la fois. À cinq mois, les nourrissons peuvent suivre des yeux les mouvements des objets, mais leur acuité visuelle* est encore faible (20 sur 200). Au moindre doute, le déficit visuel néonatal doit être recherché et appareillé le plus tôt possible. À l'âge de cinq ans, l'enfant a une vision stéréoscopique*, sa vision des couleurs est bien développée et son acuité visuelle atteint 20 sur 30, ce qui le rend apte à l'apprentissage de la lecture. L’hypermétropie

(*) mots définis dans le lexique en annexe

des premières années de vie a fait place à l'emmétropie (absence de troubles de la réfraction). L’œil atteint sa taille adulte vers l’âge de 8 ou 9 ans.

2. Fonctions de la vision

« Si l’œil c’est la vision, le regard c’est, très tôt, un moyen de relation » (L’aube des sens p.53).

La vision ne doit pas être uniquement abordée d’un point de vue anatomique et physiologique. La vision ou plutôt le regard a une fonction importante dans le développement de l’enfant comme dans les interactions précoces, le lien d’attachement, l’expérience du miroir, l’imitation et le développement psychomoteur.

Le premier échange visuel observé en maternité, constitue le point de départ d’un processus d’interaction. L’importance du regard dans les interactions précoces (entre 0 et 6 mois) et leur incidence sur le développement affectif et cognitif de l’enfant est évidente. La vision a un rôle déclencheur des échanges sociaux.

Ajuriaguerra (cité par M. Robin dans L’aube des sens p.55) parle de « regard vision » pour les aspects perspectifs liées au développement de l’activité visuelle et de « regard sortilège » pour les domaines de l’interaction et de la relation. Selon lui, le regard a un double aspect : le regard de l’enfant et sa signification par sa mère. Dès la naissance, l’activité visuelle est en relation avec la valorisation de la mère. Inversement, le regard de l’enfant attire celui de sa mère, la rassure et la gratifie. De même, l’activité oculaire de l’enfant peut être perçue comme un signe vital ou d’intelligence.

Rubson (cité par M. Robin dans L’aube des sens p. 60-61) parle de contact « œil-œil » qu’il caractérise comme une attraction réciproque des visages. Le bébé est fasciné par le visage de sa mère. Le contact « œil-œil » dépasse la simple fixation réciproque, c’est le moteur des interactions précoces. Le regard du nouveau-né déclenche des conduites d’échange et de communication. Le contact « œil-œil » est un des déterminants de l’attachement maternel. C.Lairy (cité par M. Robin dans L’aube des sens p. 61), en 1974, a montré, chez des enfants privés de vision, l'importance du contact « corps à corps » comme se substituant au contact « œil à œil » de l'enfant voyant. Cela montre une adaptation du nouveau-né et de sa mère afin d’établir l’interaction précoce et le lien d’attachement. Le terme « d’attachement maternel » employé par Bowlby est défini comme un lien affectif spécifique d’un individu à l’autre, avec un besoin inné de maintenir la proximité avec le partenaire maternel. Pour lui aussi, le regard contribue à la création et au développement du lien d’attachement. Les échanges sont à l’initiative de la mère mais aussi de l’enfant. Vers trois mois, après établissement d’un lien, le regard se tourne vers l’extérieur. Le regard ne servant plus à attirer l’attention de l’adulte, permet aux modalités corporelles et orales de s’établir. Le contact « œil-œil » diminue alors avec la stabilité du regard maternel.

Winnicott (1975, p.153-162) considère le visage de la mère comme « le prototype du miroir » c'est-à-dire que ce que le visage de la mère exprime, quand elle regarde son enfant, est en relation directe avec ce qu’elle voit. Le bébé a besoin de ce regard pour s’identifier à sa mère, il s’agit de l’identification primaire. Le regard est donc le premier organisateur et la première relation à l’objet. Les concepts de Winnicott sont repris par Dolto. Pour elle aussi, la mère fait office de miroir pour l’enfant qui la regarde. La mère étant prise par la « préoccupation primaire » (terme winnicottien définit par une identification de la mère à son bébé jusqu’à s’en oublier) reflète les ressentis et les tensions de son bébé. Ce concept de « préoccupation maternelle primaire » est en lien avec l’attachement.

Le stade du miroir de Lacan (1999, p.93-100) est la reconnaissance et l’affirmation de soi psychiquement grâce au regard de la mère. Le bébé se perçoit comme entier parce qu’il voit sa mère dans le miroir qui regarde son enfant entier dans le miroir (il ne se perçoit pas entièrement au niveau sensori moteur). L’image globale que lui renvoie le miroir, permet à l’enfant de prendre conscience de l’unité de son identité corporelle. L’expérience spéculaire va lui donner ainsi accès au « je », au langage et à l’autonomie. Puis, l'image du corps va jouer un rôle important dans la socialisation de l'individu, tout au long de sa vie. Il peut alors commencer à penser son corps dans l’espace. Il y a naissance des représentations par la pensée. L’identification de l’enfant à son reflet lui permet d’accéder à la reconnaissance de soi, de développer la prise de conscience de soi et de son corps propre. Elle lui apporte une preuve de son unité corporelle. Ce stade est essentiel dans la constitution du moi et de l’identité.

L’imitation dépend totalement de la vision et participe à la constitution du schéma corporel. Elle permet à l’enfant de percevoir son corps dans sa globalité et d’appréhender celui d’autrui. De plus, elle est à la base de toute initiative.

Le développement psychomoteur est en lien avec la vision tout au long de l’évolution de l’enfant. Soumis à la pesanteur dès la naissance, le nouveau-né présente une hypotonie axiale et une hypertonie (quadriflexion) des extrémités. La vision joue un rôle important dans les modifications toniques et l’acquisition des niveaux d’évolutions motrices (redressement et orientation de la tête). De plus, la vision permet de découvrir l’environnement, d’apprendre à reconnaître les objets en fonction de leurs propriétés physiques (forme, couleur, taille), mais aussi à développer les coordinations visuo-manuelles, dans la perspective d’une préhension. Puis, l’enfant commence à se déplacer pour explorer l’environnement. La vision impulse le mouvement vers les objets proches mais aussi des notions et des relations spatiales. L’enfant structure son corps et son environnement grâce à ses différents vécus sensoriels et corporels. Le regard peut également transmettre des émotions.

Selon Bullinger (2004), les flux visuels jouent un rôle important dans la régulation tonico posturale, les mises en forme et orientation du corps. Ils permettent aussi de comprendre le corps comme pouvant être un mobile dans l’espace. Les flux visuels sont utiles pour contrôler la posture et situer le corps dans l’espace, mais ils participent aussi au réglage des mouvements des bras lors de la capture et de la manipulation d’objet.

3. Vieillissement anatomique et physiologique du système visuel

Selon R. Fontaine (1999, p.76), les effets de l’âge sur le système visuel apparaissent dès 40 ans pour la structure optique et à partir de 60 ans pour la structure rétinienne.

Des problèmes dans la perception d’objets distants, de la profondeur, dans la sensibilité à l’éblouissement et des couleurs sont en relation avec les modifications pouvant apparaître au niveau des structures optiques.

Au niveau du système rétinien, les cellules réceptrices de la macula* (cônes) ont une plus forte probabilité de dégénérer. Il en résulte une perte de la vision fine des détails (la lecture devient difficile, la vision de loin est floue) et entraîne des difficultés de la perception des couleurs.

Les changements dans la perception visuelle sont principalement :

-L’affectation précoce de l’acuité. Dés 20 ans, l’acuité commence à baisser de façon lente jusqu’au 60 ans. Après 60 ans, le déclin s’accentue. -Le déclin de l’adaptation* avec l’âge et l’augmentation du temps nécessaire pour s’adapter au changement de luminosité.

-La modification du champ visuel*. Le champ périphérique diminue de quelques degrés à partir de 40-45 ans. A 20 ans, il est en moyenne de 170 degrés alors qu’il n’est plus que de 140 degrés à 50 ans.

En conclusion, le système visuel est un mécanisme complexe. Chez certaines personnes, ce sens fonctionne parfaitement ou avec l’aide de correction optique. Mais, pour d’autres les corrections optiques ne sont pas suffisantes voir inutile car le système visuel est trop endommagé. C’est pourquoi, le second chapitre s’axe sur les personnes dites déficientes visuelles.

II

DEFICIENCES VISUELLES

Il n’y a pas une déficience visuelle mais des déficiences visuelles. Chaque déficient visuel est unique du fait de son déficit et de son histoire.

Après avoir défini les différents termes caractérisant les déficiences visuelles, nous aborderons les différentes classifications, puis nous développerons les caractéristiques de certaines pathologies visuelles.

1. Définitions

En s’appuyant sur la Classification Internationale des Maladies (CIM10), le terme de déficience visuelle regroupe la malvoyance (ou basse vision) et la cécité.

1.1. La malvoyance

L'Organisation Mondiale de la Santé (1992) définit l’amblyope (malvoyant) comme étant une personne présentant une déficience visuelle même après traitement et/ou meilleure correction optique. Elle a une perception de la lumière et son acuité visuelle est inférieure à 3/10, mais égale ou supérieure à 1/20 du meilleur œil avec correction ou son champ visuel est inférieur à 10 autour du point de fixation. Elle utilise ou est potentiellement capable d'utiliser, sa vue pour planifier et/ou exécuter une tâche. Elle peut accroître sa vision fonctionnelle par l'utilisation d'aides optiques, d'aides non optiques, par des modifications de l'environnement et/ou par la mise en œuvre de techniques spécifiques de rééducation.

Cette définition montre bien que la malvoyance n'est pas statique, figée par un score d'acuité visuelle, mais dynamique : c'est une mauvaise vision certes, mais une vision que l'on peut essayer de conduire au maximum de ses capacités fonctionnelles en agissant sur tous les facteurs de la vision, personnels et environnementaux. Le malvoyant peut avoir une vision tubulaire (trou de serrure) ou une vision périphérique (tache noire centrale qui suit le mouvement).

1.2. La cécité

Le terme cécité vient du mot latin «caecus», qui veut dire aveugle. La cécité est donc «l´état d´une personne aveugle». L´aveugle, au sens strict, est celui qui est privé de ses yeux, celui qui est privé de la vue. Or, dans le sens réglementaire français, la cécité commence dès que l´acuité visuelle du meilleur œil avec correction est inférieure à 1/20 ou que le champ visuel est inférieur à 10 degrés. Il peut donc aussi bien s´agir de sujets aveugles, au sens strict (sujets n´ayant aucune perception visuelle), que de sujets ne pouvant être considérés ni comme des aveugles, car ils ont une acuité chiffrable et un potentiel visuel, ni comme des malvoyants, car cette acuité est inférieure à 1/20. Toutes les personnes aveugles ne sont pas comparables, ne serait-ce qu'au plan de l'acuité visuelle. Il y a une grande différence entre le fait de ne plus avoir de perception lumineuse et celui d'avoir encore un certain reste visuel. En France, nous différentions la cécité complète, la quasi-cécité et la cécité professionnelle. Une mention cécité sous la forme d’une « étoile verte » ou une mention « canne blanche » est apposée sur la carte d’invalidité en fonction de l’acuité visuelle de la personne. (cf. annexe)

2. Classifications

L'Organisation Mondiale de la Santé (OMS) classe les déficiences visuelles en cinq catégories (I, II, III, IV, V) basées sur l’acuité visuelle et le champ visuel. C’est la classification la plus connue et la plus utilisée par le monde médical. (cf. annexe)

La Classification Internationale des Handicaps (CIH) codifie de manière plus précises les principales formes d'atteintes visuelles, en prenant en compte la déficience de l'acuité visuelle de l'un ou des deux yeux, une déficience du champ visuel, et une atteinte des structures annexes de la fonction visuelle ou par une lésion cérébrale générant des troubles neuro-visuels. Cette classification semble plus complète et plus intéressante pour les professionnels prenant en charge une personne déficiente visuelle. Elle différencie la déficience moyenne, sévère, profonde, presque totale et totale. (cf. annexe)

La Classification Internationale des Maladies (CIM-10), a été détaillée dans l’introduction des définitions. En différenciant la malvoyance et la cécité, cette classification est très simplifiée et de ce fait plus aisée à utiliser. (cf. annexe)

3. Pathologies visuelles rencontrées au cours de la vie

Les causes de déficiences visuelles sont nombreuses et d’origines diverses : génétique, dégénérative, traumatique, malformation ou suite à des complications périnatales. Les pathologies visuelles peuvent être en lien avec l’anatomie ou le fonctionnement du système visuel, une atteinte des aires cérébrales ou des maladies ou des syndromes particuliers rares.

Dans un souci de clarté, j’évoquerai uniquement les pathologies visuelles en liaison avec mes cas cliniques en différenciant d’une part un trouble précoce ici le syndrome de Morsier et d’autre part une atteinte tardive : la Dégénérescence Maculaire Lié à l’Age (DMLA).

3.1. Pathologie visuelle précoce en lien avec un syndrome rare : le syndrome de

Morsier

Description

D’après le site orpha.net, la dysplasie septo-optique (ou DSO), également connue sous le nom de syndrome de Morsier, est une malformation du cerveau. Une dysplasie est une anomalie de développement d’un organe, s’accompagnant de problèmes de fonctionnement et altération de ceux-ci. Elle regroupe une hypoplasie des nerfs optiques, une hypoplasie de l’hypophyse et des anomalies cérébrales localisées à la portion médiane, telles une hypoplasie ou une aplasie du corps calleux et/ou du septum pellucidum. Une hypoplasie est une insuffisance de développement d’un organe ou du tissu qui le compose. Une aplasie est un arrêt total de ce développement, survenant dès la naissance. Le setum pellucidum est la membrane séparant les deux hémisphères du cerveau. Ces anomalies témoignent d’un défaut de développement de la ligne médiane du prosencéphale (portion qui comprend entre autre le corps calleux, l’hypothalamus et l’hypophyse). La DSO peut se manifester dès le plus jeune âge, durant l’enfance ou même à l’adolescence dans certains cas. On parle alors de « DSO plus » lorsque la dysplasie septo-optique atteint le développement du cortex. Dans ce cas, les symptômes sont plus apparents. Les enfants atteints de cette maladie présentent, à des degrés variables, un déficit visuel, des troubles endocriniens principalement un défaut de croissance, un retard mental avec ou sans crise convulsive surtout en cas de « DSO plus ». Ce syndrome est rare, il atteint moins d’un nouveau-né sur 10 000.

Etiologies de la malformation congénitale

Les causes de cette malformation congénitale peuvent être :

-Une cause génétique avec transmission autosomique dominante (mutation du gène HESX1 du chromosome 3 situé sur le locus p21.2-p21.1) pourrait être une explication. -Une exposition au valproate de sodium (médicament antiépileptique) pourrait être une autre explication.

-Mais dans la majorité des cas, aucune cause n’est retrouvée. La DSO est idiopathique c'est-à-dire que chez un certain pourcentage de personnes atteintes, la cause n’est pas forcement apparente ou caractérisée.

-Symptômes

Chaque malade est unique et donc ne souffre pas nécessairement de tous les symptômes à la fois. En outre, ces symptômes peuvent être plus ou moins grave selon les patients. Les différents symptômes ont des origines communes :

Anomalies Description Symptômes
Hypoplasie des nerfs optiques Observation d’un sous développement des nerfs optiques. Les connections entre l’œil et le cerveau sont en conséquence beaucoup moins nombreuses. La gravité de ce déficit visuel varie d’une vision presque normale à une cécité complète. Atrophie optique, cécité et/ou cornée opacite.
Hypoplasie de l’hypophyse* L’hypophyse des malades ne fonctionne pas correctement et éprouve donc des difficultés à produire certaines hormones (les hormones de croissance par exemple). Manque de force musculaire, paralysies, retard mental/psychomoteur, hypoglycémie, micropénis ou petite verge, nanisme ou petite taille, puberté précoce, déshydratation, et/ou diabète insipide qui sont donc tous dus à des troubles endocriniens.
Anomalies cérébrales liées à la portion médiane Hypoplasie ou une aplasie du corps calleux et/ou du septum pellucidum. L’absence de septum se caractérise par des troubles mentaux plus ou moins sévères. L’atteinte du corps calleux se traduit par des pertes de mémoire, d’équilibre ou de coordination des mouvements.

Diagnostique

Un diagnostique de DSO peut être établi sur base de symptômes spécifiques. Plus le diagnostique est précoce, meilleure est la prise en charge. Un ophtalmologue pourra diagnostiquer une hypoplasie des nerfs optiques au moyen d’un ophtalmoscope. Un endocrinologue pourra déterminer s’il y a des déficiences hypophysaires, par exemple en constatant un déficit d’hormones de croissance. Enfin, un neurologue déterminera, par IRM ou par scanner, si le septum pellucidum et/ou le corps calleux sont absents. Le diagnostique peut être suspecté parfois par échographie anténatale et l’IRM fœtale signe le diagnostic.

Traitement

Le traitement est symptomatique. Si la DSO est diagnostiquée tôt et si les troubles endocriniens sont identifiés rapidement, beaucoup de symptômes pourront être évités. Cependant, les symptômes dus à l’hypoplasie des nerfs optiques et aux anomalies cérébrales liées à la portion médiane sont quasi inévitables.

3.2. Pathologie visuelle tardive en lien avec l’anatomie et le fonctionnement du système visuel: la Dégénérescence Maculaire Lié à l’Age (DMLA)

(Holzschuch, Mourey, Manière, 2002)

Description

La Dégénérescence Maculaire Lié à l’Age (DMLA) concerne environ le tiers des personnes de plus de 60 ans et sa prévalence augmente avec l’âge. C’est la première cause de cécité chez les personnes de plus de 50 ans. Il existe deux types de DMLA : la DMLA atrophique dite « sèche » et la DMLA exsudative dite « humide ». La DMLA peut apparaître au niveau d’un ou des deux yeux (pas forcement en même temps) et la coexistence des deux types de dégénérescence est possible. La DMLA est caractérisée par l’atteinte de la vision centrale (macula et la fovéa : lieu où l’acuité visuelle est maximale soit lieu d’identification des détails fins) mais la vision périphérique est préservée. La DMLA atrophique dite « sèche et lente » représente 80% des DMLA. Cependant, la personne que je prends en charge est atteinte de la DMLA exsudative dite « humide » c’est pourquoi je développerai uniquement ce type de DMLA.

Étiologies de la DMLA exsudative dite « humide »

L’apparition de néo vaisseaux entraîne des hémorragies et un soulèvement de la rétine.

Symptômes

La baisse de la vision est brutale et associée à des déformations des lignes droites. L’atteinte d’un seul œil peut n’entraîner aucune gêne s’il ne s’agit pas de l’œil dominant. Les hémorragies provoquent des sensations de taches noires. Elles suivent le point de fixation.

Diagnostique

C’est une urgence ophtalmique. Les néo vaisseaux sont localisés lors d’un examen par photographie du fond d’œil après injection veineuse d’un colorant (angiographie à la fluorescéine).

Traitement

En fonction de la localisation et de la précocité d’observation des néo vaisseaux, des thérapeutiques (injection intra vitréenne de produit anti-VEGF (vascular endoteline growth factor), photo coagulation au laser, thérapie photo dynamique, chirurgie maculaire) sont proposées pour stabiliser les lésions. Dans mon cas clinique, aucune thérapeutique ne peut être réalisée du fait de la localisation et de l’ancienneté des lésions.

En conclusion, les personnes atteintes de déficiences visuelles sont uniques. Il n’y a pas de spécificité entre une étiologie précise de la déficience visuelle et le retentissement psychomoteur. Par contre, des différences et des points communs peuvent être trouvés entre la symptomatologie et la prise en charge psychomotrice. Ce qui est primordial est l’âge de survenue et le potentiel visuel restant (soit la différence entre une déficience visuelle précoce/tardive, et cécité/ malvoyance).

Dans le prochain chapitre, je me suis intéressée aux retentissements psychomoteurs d’une déficience visuelle précoce, ici la DSO, et tardive, ici la DMLA.

III

DEFICIENCES VISUELLES AU FIL DE LA VIE ET PSYCHOMOTRICITE

La déficience visuelle précoce et la déficience tardive n’ont pas les mêmes conséquences psychomotrices sur l’individu car chaque personne est unique. Cependant, des ressemblances peuvent être observées dans les différents domaines psychomoteurs.

Dans un premier temps, je parlerai de la déficience précoce en abordant ses caractéristiques dans les différents domaines psychomoteurs (relationnel, sensoriel, moteur, spatial..). Dans un second temps, j’aborderai l’impact du déficit tardif sur l’individu en fonction de la brutalité de l’apparition, de l’âge d’apparition avec une précision sur les difficultés rencontrées chez les personnes dont le vieillissement à entraîner cette déficience et je donnerai une approche plus psychomotrice de la déficience tardive. Enfin, je conclurai en présentant des projets thérapeutiques envisageables pour chaque déficience et les ressemblances entre les deux.

1. Déficience visuelle précoce

Selon Raynard (2002), le déficit visuel précoce entraîne des difficultés dans l’acquisition de l’autonomie et d’intégration car l’expérience est modifiée en quantité et en qualité (connaissance de son propre corps, de l’espace environnant, des apports visuels précoces intervenant dans l’élaboration des relations…). L’enfant se construit à travers ses explorations, son vécu spatial et développe des domaines de compensation. De manière générale, la déficience précoce risque d’entraver l'évolution globale du sujet. Les apprentissages neuromoteurs, perceptifs, cognitifs et scolaires prendront plus de temps et seront moins affinés.

1.1. Interaction, relation et langage

Selon Beylier-Im (2003), l’absence de regard dans les échanges mère-enfant, les défauts de repères par rapport à l’environnement et la difficulté dans les processus d’identification/individualisation perturbent le développement de l’enfant

La perturbation des interactions précoces mère-enfant est en partie responsable des troubles de la communication d’une part, et peut, d’autre part entraîner l’enfant vers une hypokinésie (enfant passif, peu mobile spontanément) ou hyperkinésie compensatrice (l’enfant se créant ses propres stimulations pour combler le vide relationnel). L’absence de regard dans les échanges mère-enfant risque de déprimer la mère qui se démobilise et cesse de stimuler son enfant, elle peut également perdre confiance en sa compétence à sentir et comprendre son enfant. Le holding/handling est perturbé. La relation symbiotique avec la mère est fréquemment rencontrée du fait des attitudes de surprotections réactionnelles au handicap et de l’absence de mise à distance qu’amène d’ordinaire le regard. Des réactions de rejets peuvent être observées, c’est pourquoi l’accompagnement parental est important pour prévenir les troubles réactionnels associés à la cécité (comme l’autisme).

Face aux difficultés de différenciation Moi/non-Moi, condition sine qua non de la communication et de l’échange, les séquences alternantes de présence/absence claires et signifiées, et de réponses adaptées à la demande améliorent la qualité relationnelle.

Chez l’aveugle précoce, l’acquisition du langage est particulière. Selon Beylier-Im (2003), une écholalie par manque d’identification et de différenciation Moi/non-Moi (étape indispensable à l’élaboration du mot comme vecteur de communication) et l’absence de certaines étapes du langage (babil, lallation, jargon) sont constatées chez certains enfants. Par contre, ils sont très sensibles à la modulation du langage et imitent l’intonation des mots avec ou sans phonèmes. De manière générale, un retard d’acquisition du langage est observé puis résorbé vers 3-4 ans mais l’utilisation correcte des pronoms personnels « je » et « tu » peut perdurer.

1.2. Développement sensoriel

Selon Bullinger (2004), le non accès à un flux sensoriel caractérise les déficits sensoriels. L'absence d'entrée de flux visuel rend plus difficile la construction des représentations relatives à l'image corporelle ou à la localisation d'événements dans l'espace proche.

Dans le cas de déficience visuelle, les vicariances sensorielles qui correspondent aux sens restants (tact, audition, sens kinesthésique, olfaction et gustation) sont primordiales à l’enfant pour s’adapter au monde qui l’entoure. Plus l’enfant exploite un sens, plus il se développe.

Selon Beylier-Im (2003), le tact est une modalité sensorielle privilégiée. Le sens tactile peut s’éprouver sur tout le corps. Le terme de toucher évoque plus les mains. Or ces enfants ont souvent une appréhension à se laisser toucher les mains et à toucher (défense tactile). Un réinvestissement positif de la main est préalable à l’exploration et au développement des compétences tactiles de l’enfant. Si une fonction n’est pas stimulée pendant une certaine période sensible, elle s’étiole. Selon Hatwell, la relation visio-tactile aide à favoriser le toucher. La stimulation précoce du toucher permet donc à l’enfant d’acquérir très vite une richesse dans ses possibilités d’exploration. L’acquisition d’un toucher efficient prend en compte l’aspect sensitif de la fonction du toucher et l’aspect psychomoteur de l’utilisation des mains. La dissociation du rôle de chaque main est importante pour une bonne exploration. L’exploration tactile est une suppléance incomplète de la vision, c’est une modalité de contact. En utilisant diverses procédures exploratoires (frottement pour percevoir la texture et la pression ; l’enveloppement statique pour la forme, la grandeur ; et le soulèvement pour le poids), l’enfant obtient une description plus proche de la réalité. Cependant, la cécité génère des comportements particuliers dans la préhension.

L’enfant saisit au contact. La coordination audition-préhension qui supplée à la coordination œil-main est beaucoup plus tardive.

Le toucher se fait d’avantage par les mains, l’exploration par le pied se fait lors de la marche et renseigne sur la nature du terrain et ses éventuelles dénivellations.

Selon Beylier-Im (2003), l’audition est l’autre sens privilégié de l’aveugle car il permet de prendre des informations à distance sur l’objet (comme la vue). Les données spatiales apportées par l’audition sont des données de distance, de volume, de position ou de déplacement du sujet dans l’espace par le bruit qu’il fait. Les données temporelles sont les séquences sonores de certains actes de la journée, ajoutées à la périodicité de ses séquences. Le repérage de l’objet fait appel à la stéréo-acuité et le paramètre d’intensité sonore permet l’appréhension de la profondeur du champ. Les enfants non voyants sont perdus, voire angoissés dans les lieux publics très bruyants, car saturés d’informations auditives.

Selon Piriou (1999), malgré une bonne capacité d’écoute avec perception des nuances sonores, la personne doit se représenter mentalement le bruit perçu en l’identifiant et le définissant. Si le bruit est entendu mais pas reconnu, il ne va pas s’imprimer dans le patrimoine de l’individu et ne pourra jamais resservir à bon escient. C’est pourquoi, il est important que l’enfant se constitue une bibliothèque de sons. La représentation mentale s’appuie sur les évocations kinesthésiques, verbales et auditives. Certains enfants reconnaissent mieux les objets par l’audition que par le toucher.

Le sens kinesthésique est très important à développer, car il renseigne sur la position du corps à chaque instant et joue sur les capacités d’ajustement postural et dynamique. Selon Raynard (2002), cette image du corps repose sur des informations en provenance de la proprioception (sensibilité musculaire), des récepteurs intra articulaires et d’autres plus sensibles à la pression ou aux déformations. Ces informations concernent la direction des mouvements, leur amplitude et leur vitesse, l’effort musculaire requis et les tensions ou contraintes imposées par l’action. Selon Beylier-Im (2003), ce sens aide l’enfant à sentir son corps en mouvement. Il est important de favoriser la prise de conscience du corps et de ses propres capacités à se « tenir» afin de développer l’autonomie de mouvement.

Selon Odent (1983), le système vestibulaire est en interaction avec la vue dès la naissance. Selon Lannou et Caston (1983), les récepteurs vestibulaires sont sensibles aux accélérations. Les informations reçues participent à notre équilibration et contrôlent certains mouvements oculaires servant à stabiliser notre vision lors de déplacement. Chez l’enfant non voyant, le manque de stimulation du système vestibulaire peut amener des troubles de l’équilibre.

Selon Beylier-Im (2003), l’olfaction et la gustation sont souvent utilisées par le jeune mais sont très vite minimisées par le système culturel et/ou éducatif. Pourtant, il donne des indications très spécifiques sur les personnes notamment.

La privation d’un sens entraîne une difficulté à coordonner les informations perceptives et à les ajuster à la réalité extérieure. Chaque nouvelle information extérieure vient interférer sur les autres et troubler l’attention de l’enfant qui peut perdre alors tous ses points de repères dans l’espace corporel et externe. Ceci oblige l’enfant à des ajustements incessants. Le temps de latence d’un enfant déficient visuel est parfois plus long que celui d’un enfant voyant.

Pour Bullinger (2004), les ressources de plasticité de l'enfant déficient sont utilisées pour contourner ou dépasser son déficit. Les moyens techniques pour remédier aux déficits ne doivent pas seulement viser à suppléer les fonctions instrumentales propres à un système sensori-moteur déficient, mais également à prendre en compte et compenser les fonctions sous-jacente d'alerte, d'orientation, et de traitement spatial qui sous tendent et rendent possibles les fonctions supérieures.

1.3. Développement psychomoteur

La déficience visuelle peut amener trois types de retentissements psychomoteurs différents en fonction de l’étayage autour de l’enfant :

-Développement psychomoteur normal, sans retard quand l’entourage familial s’est adapté au handicap (en étant ni trop ni trop peu protecteur et sur-stimulateur). -Dysharmonie psychomotrice caractérisée par exemple par un enfant performant dans le verbal et immature dans le relationnel ou présentant des troubles moteurs. -Trouble de la relation, de la communication de type autistique

Chaque enfant est différent, ces trois retentissements psychomoteurs ne sont pas figés. Comme nous le verrons dans la clinique et la discussion.

Selon Beylier-Im (2003), le développement psychomoteur de l’enfant aveugle est perturbé. Si des ajustements précoces ne sont pas mis en place, des troubles psychomoteurs secondaires à la cécité peuvent apparaître.

D’après Sagot (2007), le développement est totalement dépendant des parents et des personnes qui s’occupent de l’enfant. De plus, le développement des liens d’affection peut permettre :

-
la conscience du corps et des relations de ce corps avec l’espace par les expériences kinesthésiques et proprioceptives
-
la construction d’un monde objectif en s’affirmant et en prenant des initiatives par la manipulation des objets et en constatant une relation de cause à effet dans leur manipulation (par des mouvements de préhension et de coordination).

D’après Buissard (2007), du fait des perceptions visuelles nulles ou très réduites depuis la naissance et la petite enfance, les personnes déficientes précoces peuvent présenter des troubles psychologiques et psychomoteurs comme des troubles de la représentation des mots, du corps, des choses, des actes, des troubles du tonus, des troubles de l’orientation spatiale et de la représentation des lieux. La personne déficiente précoce a une méconnaissance totale ou partielle d’elle-même et de son environnement au niveau perceptivo moteur et cognitif. Des perturbations des apprentissages précoces sont également observées ; c’est pourquoi suite à un bilan psychomoteur, une éducation psychomotrice est possible. Le travail s’axe sur le schéma corporel et les attitudes posturales, l’axe corporel et la latéralité, l’orientation spatiale (immédiate, sur autrui, des objets), la structuration spatiale (notion géométrique, trajet complexe) et la représentation mentale (permanence de la forme, représentation symbolique).

1.3.1. Motricité

La vision se développe en lien avec les autres sens et notamment avec l’appareil moteur dans le déplacement du corps. La motricité générale est caractérisée pour le mouvement par les expériences kinesthésiques, pour les déplacements par l’exploration tactile et la perception de l’espace. Ces stimulations liées à une maturation musculaire permettent à l’enfant une acquisition posturale qui lui permettra d’explorer son environnement, de développer sa curiosité, de prendre confiance jusqu’à un contrôle de son environnement.

Selon Beylier-Im (2003), l’absence de vision freine l’accès au mouvement. L’impossibilité d’imitation visuelle va pénaliser le développement psychomoteur. L’enfant aveugle peut se présenter comme un enfant très peu mobile. Si sa mobilité se modifie sur sollicitation verbale ou corporelle, son manque de mobilité ne présage pas d’un trouble de la motricité globale. L’aveugle congénital développe des connaissances (stratégie exploratoire, développement des facultés latentes et l’habileté gestuelle) afin d’améliorer son action sur l’environnement. L’enfant peut aussi être toujours en mouvement pour ressentir son corps et combler le manque de stimulation visuelle par des stimulations proprioceptives, kinesthésiques et vestibulaires.

Le tonus axial

Bullinger (2004) parle d’effondrement tonique chez les jeunes aveugles. Dans le cas de cécité congénitale, un effondrement tonique vers le troisième/quatrième mois est constaté. La personne gravement déficiente peut avoir des difficultés dans la gestion des flux sensoriels et la régulation de ses états émotionnels.

Lors de l’examen du tonus, l’hypo et hypertonicité sont fréquemment observées. Si ces attitudes cèdent au portage sécurisant (à la base du bassin), il s’agit probablement de réactions toniques de défense. Un dialogue sécurisant, un handling enveloppant aide à réduire ces réactions.

L’enfant aveugle présente une hypotonie des membres inférieurs, en rapport avec l’ignorance tardive de cette partie du corps, qui cesse au cours du développement. De nombreuses syncinésies entravent l’indépendance des différents segments corporels et leurs ajustements. Le corps est maintenu dans une rigidité, une tension globale. La tête est souvent baissée et rentrée dans les épaules par absence de stimuli visuels. Le bloc épaule/nuque est souvent hypertonique. Des modifications toniques s’observent au niveau du dos voûté et de la ceinture pelvienne. Tous les schèmes posturaux vont pâtir de ce déficit, s’ils ne sont pas guidés par des stimulations sonores ou sensorielles.

Dire au non voyant que l’on va agir sur lui, au niveau corporel, est indispensable afin qu’il se prépare toniquement à accompagner l’acte et évite une hypertonie réactionnelle qui peut être vécue comme une agression et se transformer en carapace tonique.

La posture et les réflexes archaïques

Selon Beylier-Im (2003), l’enfant non voyant n’initie pas de changement de position sans stimulation.

Les retournements sont encouragés par un appel sonore de proximité puis distancés pour inviter l’enfant au déplacement. Les rotations de la tête ou du tronc ne sont pas initiées même avec un stimulus sonore, l’enfant cherche avec sa main selon l’emplacement de l’objet repéré auditivement sans bouger la tête ni le tronc, et renonce si son geste s’avère improductif. Les schèmes sensorimoteurs de retournement et de rotation doivent être montrés à l’enfant, pour qu’il prenne conscience de ses possibilités de mouvement.

La position assise est également entretenue par des stimuli sonores (verbales) mais dès que ces derniers cessent, l’enfant se relâche et se laisse glisser. C’est pourquoi, il va chercher à éviter cette position.

Le réflexe parachute n’existe pas spontanément chez l’enfant non voyant. En effet, il ne perçoit pas la distance qui le sépare du sol. Cependant, les réflexes vestibulaires anti-gravitaires sont présents avec les réflexes d’agrippement à l’objet ou à la personne et une réaction antigravitaire de la tête et du tronc. Les changements de positions ou les chutes nécessaires aux expériences motrices sont plus traumatiques.

Des retards du développement psychomoteur sont observés en cas de manque ou d’inadéquation dans les stimulations apportées à l’enfant et peut révéler une lenteur et/ou une difficulté à aller chercher, puis à utiliser les informations dans son environnement.

Selon Bullinger (2004), chez l’enfant aveugle, la station debout est une situation de privation sensorielle : les pieds sont immobilisés comme supports et les mains ne sont en contact qu’avec le corps, le sol s’est éloigné sans que l’enfant comprenne nécessairement pourquoi. De plus, les conséquences du mouvement (la trace ou effets spatiaux du mouvement) sont difficiles à comprendre pour les enfants aveugles.

La locomotion

Selon Beylier-Im (2003), l’enfant aveugle a besoin d’être encouragé à dépasser l’espace de préhension pour aller vers. La position en quadrupédie est rarement choisie par l’enfant aveugle. Il trouve d’autres moyens de déplacement assis ou passe directement à la position debout. Dans l’équilibre statique, des oscillations d’avant en arrière et/ou latérale sont observées.

Selon Beylier-Im (2003), les enfants qui font des pas sans avoir de but précis à atteindre, présentent une marche plutôt mécanique, rigide. Avec un entraînement régulier, la marche autonome peut être acquise vers 19 mois chez des enfants aveugles. En l’absence d’entraînement, elle sera plus tardive environ vers 24 mois. Quand la marche est installée en respectant les pré-requis (équilibre statique, motivation, orientation du déplacement vers un but, tonus postural et dynamique) l’enfant aveugle traîne les pieds afin de garder contact avec le sol le plus longtemps possible et donc de réduire le temps de déséquilibre, mais aussi pour sentir, tâter avec le pied la qualité du sol et ses variations. De plus, un ancrage auditif supplée l’ancrage visuel dans l’équilibre postural et dynamique ce qui modifie l’ergonomie de la marche. Utiliser les bras comme boucliers lors de la marche n’est pas spontané mais le résultat d’un apprentissage. L’apprentissage de la marche inclut un travail sur les sensations kinesthésiques, la sollicitation du système vestibulaire en équilibre statique puis dynamique, un sens des masses développé (perceptions des vides et des pleins) et un entraînement au repérage sonore et multi sensoriel qui va orienter le déplacement. L’attention permanente à chercher des repères lors d’un déplacement explique la difficulté qu’ont les aveugles à marcher vite ou à courir.

Des défauts de la marche et de l’attitude sont constatés. Ils peuvent entraîner des problèmes orthopédiques, posturaux voire para toniques. La marche de l’enfant aveugle est caractéristique. L’enfant marche les pieds ouverts et écartés afin d’augmenter le polygone de sustentation et ainsi d’assurer une meilleure stabilité. La marche peut être talonnante, le déroulement du pied est alors excessif et provoque une élévation sur les pointes exagérée. La marche peut se faire à pas traînant, les voûtes plantaires sont alors affaissées ou déformées (pieds plats, cyphose dorsale, pieds valgus (en dehors), limitation de l’extension du genou).

L’enfant aime taper des pieds si la texture du sol est différente, il se localise par échos. La marche est toujours menée par le même pied, l’autre se ramenant simplement à coté. Les genoux sont fléchis en permanence comme pour abaisser le centre de gravité, les pas sont raccourcis. L’absence de balancement des bras et la raideur générale du corps sont très caractéristiques. Si l’enfant aveugle n’a pas développé son sens des masses, il peut se cogner et avoir une tension nerveuse permanente dans son corps qui l’empêche d’acquérir une bonne démarche. Cette dernière est incertaine, le manque d’informations sensorielles visuelles entraîne un hyperfonctionnement des réflexes de protection nécessaire et donc d’un état permanent de retrait et de défense. Le tronc est penché en arrière la plus part du temps avec l’estomac en guise de protection. Les déplacements sont parfois hésitants. Tout dépend du degré de possibilité d’exploration de l’enfant.

Selon Piriou (1999), c’est une éducation locomotrice qui doit se mettre en place pour les personnes déficientes visuelles précoces. La personne doit devenir acteur de son déplacement dans un monde inconnu qu’elle doit découvrir. Elle doit apprendre les habitudes, les règles et les codes du monde des voyants. La locomotion permet d’optimiser l’autonomie et la socialisation, en étant réalisée dans le contexte scolaire et quotidien.

1.3.2. Rapport au corps

Un retard psychomoteur avec altération du développement de l’image de soi et des désordres de l’intégration du schéma corporel est souvent confirmé. Ces perturbations sont expliquées par un manque de stimulations et de motivations extérieures (visuel en particulier). Il y a alors réduction de la motricité et une pauvreté dans la découverte du corps propre par manque d’expériences motrices. Si l’entourage est dans le rejet, des troubles de l’identité peuvent apparaître ; s’il est hyper protecteur, les besoins de l’enfant sont satisfaits mais par autrui ce qui n’aide pas au développement harmonieux du schéma corporel. De plus, l’anxiété face aux obstacles limite les contacts avec le monde extérieur et par conséquent la construction du schéma corporel. La cécité a pour effet d’entraîner des difficultés pour les activités cognitives se rapportant aux données issues du corps projeté sur autrui ou sur les objets. Le corps n’est pas suffisamment unifié pour servir d’appui correct du geste. Il en résulte des tâtonnements, des hésitations et des mouvements parasites. L’habileté manuelle est souvent réduite et consécutive à un manque de stimulation de l’environnement.

1.3.3. Espace

L’orientation dans l’espace peut être perturbée. Elle est longue à acquérir même dans les lieux connus du fait de l’appréhension de l’enfant. L’enfant se sert beaucoup de l’ouïe et de sa perception des masses pour se déplacer et se repérer. Jouer avec la sphère buccale aide l’enfant aveugle à intégrer cet espace et y éprouver du plaisir. Les notions de devant, derrière, droite, gauche, haut, bas sont souvent mal intégrées. La maîtrise de l’espace est tardive et entrave les expériences déambulatoires. De même, un retard de la structuration spatiale entraîne celui de la structuration temporelle vu l’interaction constante existant entre l’élaboration de la notion d’espace et celle du temps. Sur le plan praxique, la difficulté d’appréhender l’espace s’ajoute à la réduction de l’expérience manipulatrice.

Selon Buissard (1999), avant tout travail sur la construction, l’organisation de l’espace et la représentation mentale, il est important d’avoir une intégration corporelle par rapport à un objet extérieur.

Selon Beylier-Im (2003), le langage a un rôle dans le processus de représentation de l’espace. L’espace de l’aveugle est morcelé en deux zones indépendantes : tactilo-kinesthésique en deçà des bras (espace brachial) et auditive au delà. Les mots posés vont permettre à l’aveugle d’élaborer une synthèse des deux canaux d’information et d’avoir une représentation spatiale.

Selon Bullinger (2004), faire comprendre à un aveugle que marcher est « faire du chemin » ou qu'un geste peut faire une trace est une étape importante de son développement. Cette maîtrise d'un espace représenté qui sert de "mémoire externe" du geste achevé, à des répercussions importantes sur la sensibilité émotionnelle de ces enfants. La compréhension de la permanence des effets de l’action sur le milieu est de même nature que la stabilisation de l’image corporelle.

1.4. Spécificités observées chez l’enfant aveugle

Selon Beylier-Im (2003), les blindismes sont des mouvements ou attitudes spécifiques des non voyants, en lien avec le langage ou des situations particulières. Ces stéréotypies gestuelles ou rythmiques (mouvements de la tête, des mains, du corps tout entier par rotation, circumduction ou balancement) accompagnent un discours, une émotion ou sont présents dans l’inaction. Au stade préverbal, les stéréotypies rythmiques de balancement sont fréquentes dans les phases d’inactivité de l’enfant. Les blindismes sont le reflet des effets de l’absence d’afférence visuelle sur la construction du schéma corporel. L’absence d’imitation, le manque d’exercices physiques, la difficulté de percevoir son corps dans sa globalité, font que souvent l’aveugle à une représentation morcelée de son corps. De plus, cette représentation va être tributaire des expériences corporelles faites et de ce que le voyant lui aura verbalisé.

Les signes digito-oculaires (doigts dans les yeux) sont fréquents et signent la cécité. Ils sont très difficiles à résorber, car il semble que se soit relaxant ou stimulant pour l’enfant en manque de stimuli externe. Mieux contrôler ces mouvements est possible si l’enfant à la capacité à s’ouvrir au monde et à rester en contact avec lui-même.

Souvent confondus ou comparés aux stéréotypies psychotiques, ils modifient la qualité de présence au monde mais ils cessent quand l’adulte le rappelle à l’enfant. Ces décharges motrices sécurisent, auto bercent ou stimulent le système vestibulaire, voire expriment corporellement l’émotion qui surgit.

Le verbalisme (particularité du langage), caractérisé par des représentations inadéquates par rapport à la réalité, l’utilisation du mot dont le sens est inconnu ou ne répond pas à une réalité concrète, est fréquent chez les aveugles précoces.

2. Déficience visuelle tardive

Chaque déficience tardive est unique. Elle intervient au cours de la vie d’une personne soit chez l’adulte encore actif ou chez la personne âgée vieillissante. Elle peut être brutale ou progressive et partielle ou totale. Tous ces paramètres donnent une multitude de combinaisons qui rendent chaque personne déficiente unique.

2.1. Brutalité de l’apparition de la déficience visuelle

D’après Raynard (2002), l'aveugle tardif souffre psychiquement de la perte de son expérience passée (autonomie, activités professionnelles et sociales enrichissantes) et de son vécu présent (limites, incapacités...).

La baisse ou la perte brutale de vision demande à la personne une grande qualité de plasticité mentale. Cette perte s’accompagne d’une période de latence plus ou moins longue selon les sujets. Les stratégies de compensation (perception pluri-sensorielle, adaptation fonctionnelle et comportementale, mécanismes psychologiques...) sont différées après cette période. Lorsque la perte est totale, l'instantanéité de la réalité génère des compensations réactionnelles. Néanmoins, chez certain aveugle tardif, n'ayant pas achevé le travail de deuil, le passé reste présent et empêche toute projection dans le futur. Ceci est renforcé avec l'âge. Des traumatismes psychiques disproportionnés entraînent des réactions tel que l’anxiété, l’agressivité, le repli... Il est important de prendre en compte et de répondre de manière personnalisée à tout état dépressif.

La baisse progressive d'acuité visuelle entraîne un déséquilibre des systèmes d'interaction avec l'environnement caractérisé par une fatigue et un stress liés aux efforts faits pour maintenir l'autonomie dans les activités quotidiennes, une accumulation d'expérience psychomotrice et psychoaffective négative, une réduction des relations sociales et une difficulté à affronter le regard d'autrui. Néanmoins, elle permet une adaptation aux nouvelles conditions de vie par le biais des domaines de compensation et des stratégies. Sur un plan psychologique, cette adaptation est plus lente et plus problématique.

2.2. Particularité de la déficience visuelle chez la personne âgée

D’après Raynard (2002), l’avancée en âge remet en cause les capacités de compensation et les potentialités d’adaptation. Chez les personnes âgées devenant malvoyante ou aveugle l’interaction entre le vieillissement et la déficience décuple les incapacités, contraint à un changement radical et une absence de projet. L’envie et les capacités d’évolution sont moindres dans l’ensemble de la vie quotidienne. Le mécanisme de deuil face à la déficience visuelle et à ses conséquences est moins opérant. Il est important de préserver le plus possible les intérêts, les motivations et les activités faites avant la perte.

Chez la personne du troisième ou du quatrième âge, la malvoyance est vécue comme une perte supplémentaire dû au vieillissement. Il est important de soutenir psychologiquement ces personnes plus fragiles en luttant contre la dépression et en aidant à compenser les déficits. De plus, il faut lutter contre l’état de glissement (désinvestissement, repli sur soi,…).

2.2.1 Aspects sensoriels

Selon J.M. Albaret et E. Aubert (2001, p.15), le vieillissement est un processus physiologique rendant globalement la personne plus fragile. Il se traduit par la détérioration graduelle et lente des fonctions de l’organisme. Le vieillissement perceptif est souvent la cause de troubles psychomoteurs et peut être dû à la détérioration de l’organe sensoriel ou des voies nerveuses.

  • Une réduction de la vision colorée, des contrastes et de l’acuité visuelle, une augmentation de la sensibilité à la lumière, une altération de la profondeur et de l’amplitude du champ visuel, une difficulté à isoler les détails et un ralentissement de l’activité oculomotrice est observée. Des manifestations délirantes et en particulier les hallucinoses (syndrome de Charles Bonnet) peuvent être fréquentes chez des personnes âgées atteintes de déficience visuelle et de démence. Les relations entre démence et basse vision sont multiples. Chez les personnes âgées malvoyantes, la perception visuelle est difficile à diagnostiquer ce qui n’aide pas à la prise en charge.
  • Au niveau de l’audition, la presbyacousie (baisse auditive, difficulté à percevoir les sons aigus) augmente avec l’âge et entraîne généralement une mauvaise compréhension du discours. Elle est souvent accompagnée de stéréoacousie (difficulté voire impossibilité de localiser un son dans l’espace). Une correction par une prothèse auditive est possible. Ne pouvant utiliser l’ouie comme compensateur de leur problème visuel, les personnes déficientes se retrouvent doublement isolées.
  • La modification des caractéristiques physiques et de la qualité de la peau entraîne, avec de grandes variations individuelles, une diminution qualitative et quantitative des informations perçues et un seuil de sensibilité tactile plus élevé. La sensibilité à la pression, au tact et à la température peut s’affaiblir et le toucher perdre de sa finesse. C’est le sens privilégié dans les cas de cécité et de surdité associés.
  • Une baisse de la discrimination kinesthésique due à la diminution du nombre de récepteurs musculaires et articulaires (proprioception) est observée.
  • Les récepteurs vestibulaires souvent moins performants, peuvent engendrer des troubles de l’équilibre lors des déplacements rapides du corps et de la tête et lors des changements dans la posture. Ils ont un rôle important dans les déplacements de la personne déficiente visuelle qui chute plus que la moyenne.
  • Le goût et l’olfaction sont diminués chez la plupart des personnes âgées. L’odorat demeure plus discriminatif et varié que le goût. Une baisse fonctionnelle des papilles est observée cependant le sucré reste la saveur la plus perceptible. Ce sens est peut investi par les personnes âgées sauf lors qu’il perturbe le plaisir gustatif.

Ainsi, l’altération des perceptions sensorielles va modifier peu à peu le champ relationnel et les fonctions psychomotrices du sujet âgé jusqu’à l’entraîner progressivement vers un isolement du monde extérieur. La mauvaise réception et/ou intégration des informations sensorielles entraînent la dégradation du schéma corporel et de l’orientation temporo-spatiale. De plus, les incapacités dues au déficit visuel sont majorées par les autres atteintes sensorielles ou motrices. Le déficit sensoriel va nécessiter une adaptation des consignes lors des prises en charge et le recours à la stimulation d’un grand nombre de canaux sensoriels vicariants.

2.2.2. Aspect psychomoteur

Le vieillissement de la personne a des répercussions à la fois sur le tonus, la motricité, le schéma corporel, l’image du corps et les repères temporo-spatiaux. La malvoyance va majorer certains troubles. Avec l’âge, un ralentissement des réflexes posturaux, une perte de l’habilité à coordonner différents groupes musculaires, une déstructuration du schéma corporel, une image de soi dévalorisante ainsi que des difficultés à se repérer dans l’espace peuvent être observés.

2.2.2.1. Motricité

Tonus

Lors du vieillissement normal, une détérioration du tonus musculaire avec modification de la silhouette, une perte de puissance et d'agilité sont observées chez le sujet âgé. Une modification du tonus de fond et d’attitude est observée. Pour F. Pitteri (2000): « Vu leur fréquence élevée, chez les sujets de plus de 70 ans, l’hypertonie d’opposition, l’hypertonie plastique et les paratonies de fond peuvent être considérées comme quasi-physiologiques».

De plus, le tonus est support de la relation c'est-à-dire que la fragilité émotionnelle et un manque de confiance en soi peuvent majorer ces troubles du tonus. En effet, la fonction tonique joue également un rôle dans l’expression des émotions et participent activement à la communication non-verbale et au langage corporel. Ajuriaguerra parle de « dialogue tonique ».

Chez la personne malvoyante, le tonus est augmenté par le sentiment d’insécurité surtout lors des déplacements.

Posture et locomotion

Selon J.M. Albaret et E. Aubert (2001, p.19), les répercussions sur le vieillissement psychomoteur sont principalement une limitation de la force, de l’endurance, de la souplesse, de la vitesse et de l’amplitude des mouvements et une grande variabilité des performances.

L’équilibre et la marche deviennent de plus en plus précaires à cause d’un manque de stabilité posturale lié à l’altération des cellules musculaires et vestibulaires pour le contrôle du geste. Ainsi l’absence de contrôle visuel va majorer un ralentissement psychomoteur et augmenter le nombre de chute.

Les mécanismes d’équilibration sont modifiés qualitativement et quantitativement. Le sujet âgé est donc amené à une réorganisation stratégique de sa capacité à conserver l’équilibre. Chez la personne âgée, les problèmes visuels peuvent entraîner des chutes par manque d’anticipation et un sentiment d’angoisse peut apparaître et rendre les déplacements plus rares ou accompagnés. La personne malvoyante tardive ne peut pas se servir de son vécu passé, elle doit chercher de nouveaux repères (auditif et tactile) et avoir un bon investissement corporel afin de compenser ses déséquilibres.

A l’avancée de l’âge, la marche paraît plus lente, moins assurée et sollicite davantage d’attention. Les amplitudes de mouvements sont réduites, le polygone de sustentation s’élargit, les pas raccourcissent, les pieds glissent sur le sol, favorisant les chutes et le ballant des membres supérieurs est absent.

Selon Piriou (1999), la rééducation locomotrice permet de redonner une indépendance en toute sécurité dans les déplacements. La personne malvoyante connaît les règles et les dangers mais doit réapprendre à les identifier sans la vue. Elle doit réinvestir le monde avec ses autres sens et faire correspondre les indications reçues à ses souvenirs. Elle doit faire le deuil de ses habitudes de voyant.

La programmation et le contrôle du mouvement, les modifications de stratégie ou encore la dispersion de l’attention expliquent l’augmentation du temps de réaction du sujet vieillissant malvoyant. De plus, le ralentissement moteur semble avoir une composante volontaire pour minimiser les risques d’erreurs. Généralement, le rythme du sujet diminue en accord avec ses capacités d’exécution et d’adaptation en fonction de ses perceptions visuelles.

Altération de la motricité fine

La dextérité manuelle et la coordination oculo-manuelle sont altérées par l’influence des modifications de la proprioception ainsi que par la difficulté de régulation tonique. Les signaux tactiles étant moins performants et la vision insuffisante, le sujet âgé est obligé de « tâter » l’objet pour mieux se l’approprier.

Ainsi, l’ensemble de ces altérations amène une limitation des capacités motrices du sujet vieillissant malvoyant. Les possibilités de déplacement diminuent, réduisant par là-même les comportements d’exploration et les champs de stimulations sensorielles, affectives et cognitives. Aussi, lors des prises en charge, il est important de tenir compte de la fatigabilité de la personne âgée.

2.2.2.2. Rapport au corps

D. Anzieu (1995) développe l’idée selon laquelle la peau, dans ses diverses fonctions, étaye la constitution de l’enveloppe psychique. En vieillissant, l’unité corporelle est remise en question et les fonctions du Moi-peau de D. Anzieu (1995) sont modifiées.

Pour A. Montagu, (1979), la peau, à l’origine du contact et témoin des évènements de la vie, continue d’occuper une place prépondérante, au cours du vieillissement. Elle connaît d’importantes modifications, obligeant le sujet à faire face à un corps moins attrayant, plus fragile et à une nouvelle image du corps.

Modification du schéma corporel et de l’image du corps

Avec l’âge, un affaiblissement du sens proprioceptif, responsable de la conscience de la position de notre corps dans l’espace, une diminution de la tension musculaire ainsi qu’une baisse de l’acuité visuelle peuvent être observés. L’ensemble de ces dégradations participe alors à une modification de la représentation du schéma corporel. De plus, la douleur peut s’inscrire au niveau du schéma corporel.

Au niveau de la conscience et de la représentation du corps, une certaine maladresse, des troubles de l’orientation spatiale, des difficultés d’imitation et un registre relationnel affecté sont observés.

Ainsi, l’amoindrissement des sensations se rapportant au corps propre et une perte de la prise d’informations entraînent une moins bonne conscience corporelle, chez la personne âgée malvoyante. Aussi, il est important que le sujet prenne conscience de ses nouvelles limites corporelles afin d’accepter et d’adapter ce corps différent.

En vieillissant, la relation du sujet avec son propre corps et avec celui d’autrui est modifiée. Le Moi fragilisé, oblige le sujet à réajuster son image du corps. Ce remaniement dépend de la façon dont sont acceptés les changements et de comment s’est construit le sujet tout au long de sa vie.

2.2.2.3. Espace

La maîtrise de l’espace de l’aveugle tardif est peu affectée du fait du feed back visuel. Il a une bonne représentation de l’espace (3D) mais des craintes sont présentes lors des déplacements. En ce qui concerne l’amélioration de son action sur l’environnement, la personne déficiente visuelle tardive doit apprendre à fonctionner différemment pour faire les mêmes choses qu’avant.

Cependant avec l’âge, la perception et l’exploration spatiale sont modifiées. Celles-ci succèdent généralement à des troubles du schéma corporel, le corps étant notre premier repère spatial. Le sujet âgé doit s’adapter en permanence à ses transformations corporelles (comme réalité spatiale) et renégocier perpétuellement sa relation à l’espace. L’espace proche reste bien perçu grâce au toucher. L’orientation spatiale semble rarement altérée.

2.2.3. Aspect psychologique

Selon Buissard (1999), la survenue de la déficience visuelle provoque un traumatisme psychique venant remettre en question tout son équilibre (griffon, 1993). Elle va altérer l’intégrité du corps et en modifier l’image. La personne perd un moyen important de perception d’elle-même et de son environnement. Chez certains déficients visuels tardifs, le désir d’utiliser la fonction de la représentation mentale est défaillant malgré qu’elle soit présente. Cela est dû à un non achèvement du travail de deuil et du fait qu’elle soit encore dans une période de dépression. Lors de cette phase, la personne reste tournée vers le passé et se retrouve dans l’incapacité de se projeter dans l’avenir. Ceci à pour conséquence de lui donner un sentiment d’être dans un espace vide, couloir noir où rien ne se passe. Ses déplacements se font par conséquent dans l’anxiété. Cet état de malaise fait que, progressivement, la personne déficiente visuelle par peur, n’investit plus l’espace et ne prend plus de plaisir à utiliser son corps. Un travail de relaxation peut être entrepris avec ces personnes.

Aspects psychopathologiques

Selon C. Holzschuch, F. Mourey et D. Manière (2002, p.50), retrouver l’équilibre perdu, en même temps que la vision, demande une mentalisation soit un travail de deuil indispensable à une nouvelle adaptation.

Une prise en charge peut être faite en parallèle au travail de deuil mais pour les personnes présentant des deuils compliqués, une anxiété voire une dépression, une démotivation, des troubles cognitifs ou d’autres atteintes sensorielles ou motrices, elle peut être orientée différemment. Il faut tenir compte de ces limites dans la prise en charge de la déficience visuelle des personnes âgées.

Le vieillissement est souvent vécu comme uns une succession de pertes, il est donc difficile de réinvestir. L’isolement et la co-morbidité n’aident pas à une évolution positive du travail de deuil. L’anxiété est souvent générée par le déficit. Une écoute, des explications et une reconnaissance peuvent être bénéfiques. La dépression caractérisée par une dévalorisation, un déficit d’anticipation et des troubles d’attention (mnésique) complique la prise en charge. La démotivation comme perte d’intérêt pour les activités de la vie quotidienne peut amener à un désapprentissage et à terme une régression. La prise en charge est plus axée sur le renarcissisme et la remotivation par l’aide relationnelle et l’introduction d’objectif à court terme dans un premier temps.

En fonction du moment d’apparition, de la forme dont prend le déficit visuel, les orientations sont différentes. Cependant, dans tous les cas il est important de s’adapter et de prendre en considération la globalité de l’individu déficient.

Nous avons abordé les différences et les points communs théoriques concernant la déficience visuelle précoce et tardive. Maintenant, nous allons voir les spécificités des projets thérapeutiques et les points communs des prises en charge psychomotrice des personnes déficientes visuelles précoces et tardives.

3. Projets thérapeutiques

Les projets thérapeutiques sont tous différents et spécifiques à chaque patient. Toutefois, nous pouvons y voir quelques éléments à prendre en compte spécifiquement dans une prise en charge psychomotrice d’un enfant déficient visuel précoce, dans une prise en charge psychomotrice d’une personne déficiente visuelle tardive et des points communs dans les deux prises en charge.

3.1. Éléments spécifiques à prendre en compte dans la prise en charge psychomotrice d’un enfant déficient visuel précoce

Pour Raynard (2002), le travail consiste à aider l’enfant à se découvrir et à utiliser ses capacités, à explorer et développer ses potentialités plurisensorielles, à acquérir un comportement sensorimoteur adapté aux exigences de la vie moderne.

Le développement global de l’enfant sera le reflet des expériences motrices qui lui auront été permises, de la justesse des repères qui lui auront été donnés et des connaissances qui lui auront été transmises. Parce que la déficience visuelle incite à limiter le champ d’exploration autant qu’elle restreint le champ de vision, l’enfant a tout particulièrement besoin d’être sécurisé pour s’ouvrir au monde (exploration, communication, déplacement).

Le repérage et le développement des potentialités de l’enfant sont essentiels : pour le praticien, pour l’enfant dans ce qu’il éprouve de son corps et de son pouvoir d’action, et pour les parents qui apprennent à voir et comprendre les capacités de leur enfant.

Objectifs d’une prise en charge en psychomotricité des enfants déficients visuels précoces :

-Amener l’enfant à vivre (percevoir, sentir, comprendre, agir, éprouver) des expériences

psychomotrices facilitant son développement. -Eveiller les sens vicariants -Soutenir l’enfant affectivement -Apporter un sentiment de sécurité lors de ces expériences

En privilégiant, les notions de plaisir à explorer, sentir, et l’envie, le désir de faire.

La cécité peut perturber le développement psychomoteur. L’enfant aveugle a besoin d’être stimulé, entouré au cours de son évolution afin de faciliter, d’assurer un bon éveil et un développement harmonieux.

Les propositions de matériel faites à l’enfant devront être adaptées à ses capacités visuelles et à son stade de développement. Elles seront à faire évoluer en fonction des résultats au fil des séances.

Le projet défini en équipe (lieu, rythme, objectifs et mode de prise en charge) doit être approuvé et signé par les parents. Le projet est également à définir avec l’entourage de l’enfant sur le moment de l’intervention (moment le plus propice dans la journée), la durée des séances et le rôle de chacun. Une coordination régulière avec tous les intervenants de l’équipe auprès de l’enfant est indispensable pour tous les ajustements de projet en fonction de son évolution et il sera important de rencontrer régulièrement les parents.

3.2. Eléments spécifiques à prendre en compte dans la prise en charge psychomotrice d’une personne déficiente visuelle tardive

Pour Raynard (2002), le projet chez une personne déficiente tardive est de l'aider à se retrouver dans le réinvestissement psychomoteur et cognitif, de mettre à sa disposition les moyens lui permettant de limiter les conséquences de sa déficience visuelle sur son autonomie et l'effet du traumatisme moral qui remet en cause l'intégralité de ses compétences fonctionnelles et son équilibre psychoaffectif antérieur. Le projet et les moyens utilisés s'adaptent de manière qualitative à son âge et à son état général de santé, à ses expériences antérieures, à son niveau de développement conceptuel et intellectuel. La prise en charge permet de maintenir les acquis et de créer des stratégies adaptées sur la base de l’expérience antérieure. Le projet comprend trois étapes dont les durées varient en fonction de la personne et de son environnement : la rééducation (stimulation des domaines de compensation), la réadaptation (locomotion) et la réinsertion (adaptation de la vie quotidienne et professionnelle). Par exemple, au niveau de la rééducation, le bruit entendu est « recollé » à « l’image » souvenir mais cela n’est pas automatique car la chose entendue n’avait pas forcement un caractère sonore pour l’ancien voyant. Chez les patients ayant déjà vu, la représentation mentale s’appuie sur le souvenir visuel. Chez les personnes déficientes tardives, le travail réside à lui faire investir son corps autrement.

Dans le cas d’une prise en charge psychomotrice, face aux troubles de l’équilibre et à la fatigabilité physique, il est important d’être vigilant au rythme propre de la personne âgée. Le travail du mouvement et de la posture paraît important afin que le sujet reprenne confiance en ses possibilités motrices. De plus, un renforcement du schéma corporel et une revalorisation de l’image de soi demeurent indispensables. Une approche de la personne âgée dans sa globalité, alliant les différentes transformations paraît essentielle.

Selon Buissard (2007), suite à la perte progressive ou brutale de la vue, on observe des troubles psychologiques et psychomoteurs réactionnels « transitoires ». Cependant, la personne a un patrimoine visuel, cognitif et psychomoteur. Les troubles psychomoteurs les plus fréquents sont ceux concernant le schéma corporel et l’image du corps, la marche et l’équilibre, l’orientation spatiale et la représentation mentale ainsi que le stress, les tensions et les peurs. La rééducation psychomotrice s’oriente vers : la marche consciente, l’axe corporel, la ligne droite, l’équilibre et les chutes, le corps vécu et ressenti, la relaxation, le rythme et la danse…

En conclusion, les objectifs pour une prise en charge de personnes déficientes visuelles tardives s’axent sur :

-Retrouver une image structurante et positive de soi

-Faire prendre conscience de ses nouvelles possibilités et ses nouvelles limites

-Découvrir un nouvel ancrage sécurisant et dynamique

-Se projeter dans un avenir spatio temporel et social interactif

-Accéder à une compréhension et une interprétation d’un espace méconnu

3.3. Eléments communs aux deux types de prise en charge

La déficience visuelle demande une bonne plasticité mentale. Selon Raynard (2002), l’entraînement permet le développement de son indépendance fonctionnelle, son intégration socioprofessionnel, l’optimisation de ses domaines de compensation et de stratégie d’adaptation, sa responsabilité avec conscience de ses capacités et de ses limites. Les vicariants sensoriels sont primordiaux pour s’adapter au monde qui entoure la personne déficiente visuelle. Le stress et la fatigue sont des symptômes très fréquents chez la personne déficiente visuelle car elle sollicite beaucoup son attention et sa concentration.

L’autonomie et l’intégration sont difficiles car les expériences sont modifiées en qualité et en quantité. La dépendance à l’aidant est fortement marquée chez la personne déficiente visuelle précoce ou tardive. C’est pourquoi, il est important dans la mesure du possible de mettre à la disposition des personnes déficientes visuelles des moyens et des stratégies adaptées pour conserver un maximum d’autonomie chez la personne atteinte de déficience tardive et pour développer l’autonomie d’une personne déficiente visuelle précoce ; mais dans les deux cas, il faut mettre en place des stratégies de compensation.

Au niveau moteur, la personne déficiente visuelle présente souvent des réactions toniques de défense soit une tension globale, une rigidité localisée au niveau du bloc épaule/nuque. La marche des personnes déficientes visuelles est caractéristique, elle traîne les pieds afin de garder contact avec le sol le plus longtemps possible et donc de réduire le temps de déséquilibre mais aussi pour sentir, tâter la qualité du sol avec le pied. Son polygone de sustentation s’élargit.

Toute personne déficiente visuelle, a besoin d’être sécurisée pour rester socialisée dans le monde et ne pas se replier. De plus, des angoisses peuvent être rencontrées dans les lieux bruyants ou lors de déplacement (rencontre avec un obstacle) et forcer la personne à réduire son espace de vie et ses relations sociales. Il est difficile pour la personne déficiente visuelle d’affronter le regard d’autrui.

Des conséquences comportementales spécifiques comme le surinvestissement du langage et le désinvestissement du corps et de l’espace, la raideur posturale, le surmenage ou le repli par peur de l’échec, le comportement revendiquant ou décalé amenant des relations bizarres, inadaptées sont observées s’il n’y a pas acceptation et adaptation au handicap.

Le diagnostique précoce d’atteinte visuelle permet une prise en charge précoce donc plus efficace.

Les objectifs psychomoteurs que nous pouvons retrouver dans la prise en charge d’une personne déficiente visuelle précoce et tardive sont:

-Eveiller les sens vicariants

-Soutenir la personne

-Apporter un sentiment de sécurité lors des expériences motrices

-Faire prendre conscience de ses possibilités et de ses limites

Le matériel devra être adapté aux capacités de perception auxquelles la personne est sensible. Chaque outil devra être présenté dans des conditions optimales de luminosité, de distance, et de gestion de l’espace (en fonction du champ visuel fonctionnel, de l’œil fixateur).

Le projet est à définir en équipe avec le lieu de la prise en charge, le rythme de la prise en charge, les objectifs et le mode de prise en charge (uniquement psychomotricité ou à « 4 mains »).

En conclusion, la déficience visuelle ne peut être abordée de la même manière en fonction de son origine, et surtout du moment d’apparition. Nous voyons de nombreuses différences mais également des points communs. Nous étaierons cette partie théorique avec l’exposition de deux études de cas dont l’une concerne une cécité précoce et l’autre une malvoyance tardive.

PARTIE CLINIQUE

I

INSTITUTIONS ACCUEILLANT DES PERSONNES DEFICIENTES VISUELLES

En fonction de l’institution, les prises en charge sont différentes. C’est pourquoi, je vais présenter en quelques lignes les institutions dans lesquelles j’ai rencontré les personnes déficientes visuelles dont j’exposerai les prises en charge psychomotrice.

1. Institut Médico-Educatif (IME)

1.1. L’institution et sa population

Situé en banlieue sud de Paris, l’institut médico éducatif a été créé le 9 octobre 2006, par une association de parents pour les enfants déficients visuels avec ou sans handicaps associés (plus de la moitié des enfants sont aveugles). L’IME a une capacité de 60 enfants et adolescents (âgés de 6 à 20 ans) dont 40 en internat et 20 en semi internat.

Les locaux sont répartis sur deux bâtiments, l’un est réservé aux espaces d’activités et l’autre aux espaces d’hébergement. A l’extérieur, les enfants bénéficient d’une cour, d’un parc et d’un espace de jeux.

L’établissement dispose d’équipements spécifiques:

Salle de stimulation sensorielle • salle de basse vision • balnéothérapie • salle de musique

salle informatique • ludothèque • bibliothèque

Tous les enfants accueillis à l'IME ont en commun la conjonction d'un lourd handicap visuel avec un autre handicap ou une maladie chronique (troubles moteurs, troubles du comportement, troubles de la personnalité, déficit intellectuel ou handicap rare). Certains d'entre eux s'inscrivent dans le cadre d'un poly handicap*, d'autres dans celui d'un multi handicap*. Le projet d'établissement de l'IME s'inscrit dans le cadre du handicap rare*. La déficience visuelle peut s'inscrire dans une maladie et un syndrome particulier souvent rare.

1.2. Une équipe pluridisciplinaire

Administration et services généraux: directeur- assistante de direction - comptable- secrétaire comptable – agent administratif- régisseur- agent d’entretien – maîtresse de maison – veilleur de nuit

Service socio-éducatif : chefs de service – éducateurs spécialisés – moniteur-éducateurs – aides médico-psychologiques – éducateurs techniques – moniteur de sport- assistante sociale

Service médical et paramédical : Médecin ophtalmologiste – médecin psychiatre – psychologues – infirmières – kinésithérapeutes – psychomotricienne- orthophoniste – orthoptiste – ergothérapeute – instructeur de locomotion – avéjiste

Service pédagogique : Professeurs des écoles

1.3. Une prise en charge spécifique

Une prise en charge spécifique s'adresse à l'ensemble des difficultés présentées par l'enfant. C'est une action globale qui n'exclut pas la prise en compte des difficultés non sensorielles : langage, motricité, comportement, apprentissage… Elle doit :

  • permettre à l’enfant de stimuler et développer sa vision fonctionnelle, ses moyens sensoriels et psychomoteurs.
  • permettre à l'enfant d'évoluer au mieux de ses possibilités dans les acquisitions (autonomie, compensations) qu'il est susceptible de faire sur tous les plans (vie quotidienne, éducatif, rééducatif, psychologique).
  • permettre à l'enfant de mener à bien une tâche, être capable malgré ses problèmes sensoriels et moteurs d'effectuer les exercices proposés (adaptation).
  • pour certains, prise en charge préscolaire ou scolaire leur permettant d'acquérir lecture et écriture (informatique adapté, aide spécifique à leur déficience, relief, braille).
  • pour certains, présentant des perturbations psychologiques affectives majeures, activités plus élémentaires favorisant à travers la relation avec les éducateurs la prise de conscience de l'objet.

Les actions mises en oeuvre tendent à développer la personnalité et faciliter l’insertion sociale et l’autonomie.

1.4 Les objectifs psychomoteurs

L’objectif est éducatif, rééducatif mais il est aussi thérapeutique. La thérapie psychomotrice a une action globale qui utilise les possibilités de mouvement du corps, d’expression et de relation. La psychomotricité a pour but d’aider l’enfant ou l’adolescent à mieux vivre son corps, se situer dans l’espace et le temps, dans les relations aux autres et à l’environnement. Le jeune aveugle ou très malvoyant ne pouvant pas imiter les gestes des adultes, c’est pourquoi la psychomotricité va apprendre aux enfants à se repérer corporellement et dans l’espace temps afin d’être plus autonome.

En individuel ou en groupe, la psychomotricienne utilise des techniques corporelles (expression gestuelle, relaxation, l’eau, les activités ludiques, les sens…). La psychomotricienne veille également à développer les capacités sensorielles et motrices relatives à l’acquisition des techniques de compensation.

2. Maison de retraite

2.1. L’institution et ses résidants

Situé en banlieue parisienne, l’Etablissement d’Hébergement pour Personnes Agées Dépendantes à caractère privé, dépend d’un groupe d’institutions constitué en 2003. Une convention tripartite a été signée en 2004 entre la DASS, le conseil général et la maison de retraite.

Entouré d’un grand parc entretenu, l’établissement a une capacité de 93 lits (chambre individuelle ou double dotée de tout confort), répartis sur trois bâtiments distincts. La population est très hétérogène et peut être accueillie, en court ou long séjour. La répartition des personnes âgées dans les différents bâtiments est faite en fonction du degré d’autonomie.

Chaque bâtiment de deux étages est doté d’une salle à manger, d’un office, de petits salons de repos (avec télévision pour certain), d’une terrasse et d’un poste de soins. Les trois bâtiments possèdent un ascenseur et sont reliés entre eux par des sous sols ou par l’extérieur.

Le bâtiment principal comprend en plus : une infirmerie générale, des bureaux pour le personnel administratif et paramédical, un salon de coiffure, une salle de kinésithérapie, et les bureaux de la psychomotricienne et de la psychologue.

Dans le bâtiment des « Bleuets » se situe la salle de balnéothérapie (baignoire aménagée) tandis que le bâtiment des « Amandiers » possède une salle sensorielle (snoezelen).

2.2. L’équipe

2.3. Projet d’activités

Un projet d’activités à visée sociale est mis en place au sein de l’établissement avec comme principaux objectifs : l’ouverture sur l’extérieur et la socialisation dans la résidence.

Un projet d’activités à visée thérapeutique est mené dans le but de stimuler les différents domaines psychologiques et psychomoteurs liés à la problématique de la personne âgée. Les médiateurs utilisés lors des prises en charge sont divers et variés mais ils répondent tous à des objectifs thérapeutiques. Un projet d’activités individuelles est établi pour chaque résidant selon d’une part ses souhaits, ses centres d’intérêts, et d’autre part selon les observations ou conclusions des bilans psychologiques, psychomoteurs et/ou des réflexions émises par les différents intervenants médicaux et paramédicaux prenant en charge le patient. Ainsi l’objectif est de maintenir, récupérer ou ralentir le déclin des différentes fonctions cognitives et motrices touchées par le vieillissement. Ce projet d’activités à visée thérapeutique est élaboré en fonction des différents items psychomoteurs : la sphère temporelle, spatiale, le schéma corporel, l’image du corps et l’estime de soi, le tonus musculaire, l’équilibre, le langage, les fonctions exécutives, la mémoire et la notion de plaisir.

Il n’y a pas d’activités spécifiquement proposées aux personnes déficientes visuelles mais une adaptation est faite par la psychomotricienne.

II

ETUDES DE CAS

1. Présentation de Raphaël

Présentation

Raphaël est né le 02/07/2000, il a donc 7 ans lors de notre rencontre à l’IME (Institut Médico-Educatif) où il est arrivé en octobre 2006.

Raphaël est un garçon de petite taille, doux et câlin. Il est très demandeur d’une relation avec l’adulte. Il se déplace avec un balancement latéral d’un pied sur l’autre et présente des stéréotypies gestuelles et verbales caractéristiques des personnes déficientes visuelles.

Anamnèse

Raphaël vit avec ses parents, très attentif à son développement, et sa petite sœur née en août 2005. Raphaël fait plusieurs activités en dehors de l’établissement, il joue au golf, fait du cheval, de la moto ou du quad.

D’après le dossier, Raphaël présente un syndrome de Morsier (maladie congénitale rare) qui se caractérise dans son cas par une hypoplasie des nerfs optiques associée à une atrophie des bandelettes optiques du bulbe olfactif et de l’hypophyse antérieure. De plus, on observe un pan hypopituitarisme, un retard de développement psychomoteur et de la communication (retard à l’acquisition de la parole). (Voir théorie)

D’après le dossier, le traitement de Raphaël comprend des hormones thyroïdiennes, de croissance et suit une corticothérapie.

1.2. Autres bilans

Conclusion du bilan ophtalmique de 2007

Au niveau de son acuité visuelle, à droite il a une perception globale moyenne (objet de la taille d’un crayon) à 10 cm en inféro-nasal. A gauche, il n’aurait pas de perception.

La réfractométrie est de – 2,75 à l’œil droit et de – 2,75 (-0,25 à 130°) à l’œil gauche.

Le port d’une correction n’améliorera pas ses possibilités visuelles.

Le segment antérieur est sans anomalie. Le fond d’œil est normal.

Le sens coloré est non utilisable. De même, le champ visuel est non utilisable.

La conséquence fonctionnelle est la suivante : une cécité fonctionnelle retentissant sur tous

les actes de la vie quotidienne et des troubles de la relation.

Conclusion du bilan orthoptique du 21 novembre 2006

Les éléments sensoriels sont non chiffrables, mais il est capable de saisir des informations visuelles. Il peut percevoir des objets d’autant plus si on les rapproche à 5 cm et qu’on les place devant l’œil gauche.

Les éléments opto-moteurs montrent d’importantes difficultés à orienter le regard. La fixation est possible malgré son nystagmus mais peu maintenue. Tourner sa tête à droite, l’œil gauche en adduction bloque les mouvements des yeux, mais cette position n’est pas maintenue.

Les éléments fonctionnels ne montrent pas de communication visuelle ni à l’émission, ni à la réception. Il peut attraper un objet mais sa localisation est peu précise. Il utilise l’audition pour reconnaître et situer les objets. Il peut se servir de sa vision périphérique pour localiser grossièrement les objets, puis il attrape sans regarder, en tâtonnant. Si l’objet est près, il peut l’attraper en le fixant et être plus précis. Sa vision périphérique bien que limitée l’aide dans ses déplacements.

Les objectifs sont d’aider à développer un maximum ses capacités de fixation et ainsi tenter une ébauche de communication visuelle et de développer le guidage visuel du geste.

Conclusion du bilan de l’ergothérapeute réalisé le 24 octobre 2006

Raphaël a une capacité d’exploration, par le toucher, limitée. Son toucher est instrumental dans une fonction de préhension palmaire très restreinte. Le plus souvent l’agitation des mains est sans but fonctionnel. Ces difficultés ne favorisent pas ses capacités d’apprentissages, de conceptualisation, de communication et de socialisation.

Les objectifs sont d’aider à développer le toucher dans sa composante de manipulation et d’exploration ; à introduire la dimension du jeu autour du toucher ; à développer le faire dans la composante du plaisir et du désir ; à développer la relation et l’interaction ; et à favoriser l’autonomie des repas.

1.3. Evaluation psychomotrice

À l’arrivée de Raphaël dans l’établissement en octobre 2006, la psychomotricienne a effectué un bilan psychomoteur adapté à la déficience visuelle et un bilan d’observation qui se base sur l’observation des éléments de communication verbales et non verbales (posture, regard, mimiques faciales, toucher) et sur l’appréciation des états toniques, de l’organisation praxique, des gnosies, des signes d’orientation temporo-spatiale. Elle regarde également les techniques de compensation (technique d’exploration tactile, de l’espace, sa capacité de concentration et de prise d’informations sensorielles (auditives, tactiles,..)) qu’a l’enfant. Cette évaluation amène ainsi des indices sur les capacités et les difficultés de l’enfant dues à sa pathologie afin d’élaborer un projet thérapeutique psychomoteur personnalisé, d’ajuster la prise en charge et également de pouvoir transmettre les conclusions au reste de l’équipe.

De manière générale, Raphaël est d’une allure tonique du fait qu’il n’utilise pas le ballant des bras. Il se déplace avec un balancement latéral d’un pied sur l’autre, ce qui amène une réduction de flexion au niveau des genoux, et le non déroulement du pied qu’il pose à plat.

Au niveau moteur, les mouvements volontaires simples sont réussis. Une angoisse est observable face à ce qui l’entoure, entraînant peu de déplacement spontané et peu d’exploration motrice. Il utilise l’audition et la perception des masses pour se déplacer (jamais seul). Les mouvements sur consignes verbales sont réalisés. Il est capable d’aider à l’habillage et au déshabillage.

Au niveau de la préhension, il est droitier. Il connaît sa droite et sa gauche sur lui. Sa préhension est palmaire avec opposition du pouce. Les coordinations auditivo manuelles sont très bonnes.

Dans le domaine spatio-temporel, il n’arrive pas à s’orienter dans l’institution ni dans la salle. Il utilise peu d’informations sensorielles (audition et perception des masses) pour s’aider dans les déplacements qui restent pauvres. Il a peu d’exploration motrice spontanée de l’espace qui l’entoure.

Dans le domaine psycho affectif et du comportement social, Raphaël est un enfant doux et câlin, il sollicite beaucoup la relation avec l’adulte et montre peu d’intérêt pour les autres enfants. Il a un discours stéréotypé pas toujours adapté. Il peut être dans l’opposition s’il n’a pas envie de faire. Il n’utilise pas le « je ».

Il comprend les consignes simples. Son attention est très variable en fonction de l’intérêt qu’il porte à l’activité. Il n’apprécie pas le contact des objets dans sa main. Il fait peu d’exploration tactile ce qui ne permet pas de tester les praxies d’habillage.

Le schéma corporel n’a pas été évalué. Cependant, il semble avoir une bonne conscience de son corps et de celui d’autrui.

Raphaël présente une dysharmonie psychomotrice liée à son handicap visuel avec trouble de la communication et de la relation.

1.4. Projet thérapeutique

Objectifs

L’activité piscine a pour objectif d’enrichir son vécu sensori-moteur, de l’aider dans la prise et l’utilisation d’informations extérieures et de l’accompagner dans un relationnel plus riche.

Cette prise en charge de groupe en piscine permet de travailler l’autonomie, de réaliser des items difficiles pour lui hors de l’eau comme les sauts et l’aisance corporelle de manière ludique et la détente.

Cadre

Raphaël participe au groupe piscine depuis novembre 2006, tous les lundis matin avec trois autres enfants de son groupe, l’éducatrice spécialisée, l’éducatrice de son groupe, la psychomotricienne et moi-même (depuis septembre 2007). La durée d’une séance varie généralement de 2 heures à 2 heures 30 minutes dont 1 heure de transport aller/retour.

De plus, une prise en charge individuelle dans la salle snoezelen a été introduite courant 2007 par la psychomotricienne pour travailler sur le développement des capacités sensorielles.

Présentation du groupe piscine auquel Raphaël participe:

Ce groupe est constitué de 4 enfants (de 6 à 9 ans) pour 4 accompagnants (la psychomotricienne, une stagiaire psychomotricienne, une éducatrice sportive et une éducatrice spécialisée). Cette activité est effectuée dans une piscine municipale ce qui impose de prendre le véhicule éducatif pour s’y rendre. Ce temps de transport fait partie intégrante de la séance, il habitue les enfants aux sensations propres de la route (secousse, bruit, …) de même que celui du déshabillage et de l’habillage qui permet de développer leur autonomisation. La séance dure 30 min dans l’eau, les enfants sont en binôme avec un adulte qui change au cours de la séance pour des apports différents du fait des formations de chacune. L’intérêt de la piscine ou plutôt de l’eau est d’amener les enfants à se détendre, être en relation avec l’adulte mais aussi avec les autres, à jouer, et c’est aussi, un moment de liberté (pas peur de se cogner, de tomber) pour certains. Certains vont réussir à exprimer verbalement des ressentis corporels « ça fait bouger les jambes ». L’eau permet de travailler les sensations corporelles, le rythme (vite/lent), le bruit de l’eau (les éclaboussures, les claques sur l’eau), le schéma corporel et les enveloppes (limite intérieure/extérieure) grâce à son volume, tout cela pour amener une relation, un échange avec l’enfant.

Les objectifs du groupe sont les suivants:

aider au développement sensori-moteur
favoriser l’échange entre les enfants
développer l’autonomie au niveau de l’habillage et du déshabillage
un séjour à Center Parc est prévu en fin d’année, cela permettra de travailler dans

un nouveau lieu avec l’élément « eau » bien connu des enfants et un travail de séparation pendant une semaine avec les parents pour renforcer l’autonomie notamment dans des situations nouvelles. Chaque enfant a un projet personnalisé à l’intérieur de ce groupe.

1.5. Evolution

Les séances se déroulent en plusieurs temps. Il y a d’abord le départ de l’IME et le temps de transport pour se rendre à la piscine municipale. Munis de leur sac à dos, Raphaël et les enfants de son groupe viennent avec leur éducatrice jusqu'à l’entrée de l’IME où il retrouve la psychomotricienne, moi-même et l’éducatrice sportive. A ce moment là, Raphaël demande souvent si on va prendre le bus. Il parle aussi de « la douche » ou « éclabousser ». Ces questions semblent marquer une prise de repère dans le temps et l’espace pour Raphaël. Les enfants sont dirigés vers le mini bus où ils posent leur sac à dos avant de monter. Sur ce trajet de quelques mètres dans l’enceinte de l’IME, Raphaël demande à « marcher tout seul » ce qu’il fait sur quelques mètres puis attend l’adulte pour continuer. Cette demande d’autonomie est encouragée et sécurisée. Le mini bus étant haut, Raphaël et les autres enfants ont du mal à monter dans le bus sans aide de l’adulte. Une fois, assis et attaché par l’adulte, Raphaël est très calme. Dans le bus, les enfants n’échangent pas entre eux. Raphaël interpelle les adultes qu’il entend parler entre eux, en posant des questions dont il connaît la réponse. Ces questions sont peut être un moyen de se rassurer contre un vide angoissant ? Arrivé sur le parking extérieur de la piscine, Raphaël est sollicité pour qu’il se détache mais avant même d’essayer il dit « c’est trop dur ». Alors, je prends sa main et fait le mouvement avec lui, mais il ne met ni force ni d’attention dans ce qu’il fait, comme s’il n’avait pas de force dans les doigts. Ensuite, il est sollicité pour descendre du bus en faisant attention à la grande marche. Il attend qu’un adulte soit à porter de sa main pour descendre en se tenant à l’adulte. Après avoir remis le sac à dos, le groupe se dirige à pied vers la piscine.

Durant, ces quelques mètres et une traversée de route, Raphaël demande plusieurs fois si « on est arrivé » et dit « on arrête de marcher ». D’autre fois, il dit « cours Raphaël » le « je » n’ai pas encore systématique, il accélère sa marche mais ne court pas. N’ayant pas la vision de l’objectif (la piscine) le temps de marche entre le parking et la piscine lui parait long. Cette « notion de temps interminable » se retrouve des vestiaires au bassin. Des repères temporels lui sont donnés par des repères sensoriels et corporels et aussi par des descriptions du chemin qu’il reste à parcourir avant d’arriver.

La piscine étant publique, le groupe croise d’autres enfants (voyant et bruyant) ce qui perturbe Raphaël dans la première partie du déshabillage faite dans le hall d’entrée de la piscine. Sur sollicitation verbale, Raphaël enlève son sac à dos et son manteau (après lui avoir ouvert) avant de s’asseoir pour enlever les chaussures et les chaussettes. Raphaël est assez lent dans l’exécution des gestes pour enlever ses vêtements car il est très attentif aux bruits environnants et focalise son attention dessus. De plus, des difficultés de coordination manuelle entre les membres supérieurs et les membres inférieurs sont notées peut être par manque d’initiative car il fait souvent faire à l’adulte. Une fois prêts, les enfants attendent que les autres enfants du groupe soient prêts. La notion de groupe se fait beaucoup par cette attente des autres mais les échanges entre les enfants restent rares. Pieds nus, avec son sac à dos et tenant la main de l’adulte, Raphaël se dirige vers les vestiaires. Une fois dans les couloirs des vestiaires, suite à sa demande à « marcher seul » Raphaël se déplace sans soutien de l’adulte.

Dans les vestiaires, Raphaël a besoin de temps et d’une sollicitation verbale régulière pour le déshabillage, cependant, il participe de plus en plus. Il n’est pas encore dans l’autonomie mais il aide, il faut induire le mouvement pour qu’il le continue. Quand il n’y arrive pas il dit « c’est trop dur » ou « tu veux que je t’aide ». Il calque les paroles de l’adulte sans changer le pronom. Il n’arrive pas encore à bien s’individualiser au niveau du langage.

Des vestiaires à la douche, Raphaël reste près de l’adulte car le sol glisse. La douche était un moment peu apprécié par Raphaël. C’est en y allant avec lui et me décalant progressivement pour qu’il reçoive un peu d’eau qu’il accepta. Après explication du fonctionnement de la douche, il réclame maintenant à le faire tout seul. Ceci montre une certaine autonomie et un début d’initiative et de contrôle sur le monde extérieur. En dehors de la séance piscine, il parle souvent de la douche et des éclaboussures quand je le croise dans l’établissement. Il semble m’avoir associé à ce moment.

Avant d’arriver au bassin, le passage dans le pédiluve n’est pas très apprécié par Raphaël peut être parce que l’eau est froide. Le trajet douche/ petit bassin (longueur du grand bassin) est long pour Raphaël qui demande fréquemment « quant est ce qu’on arrive » et « arrêter de marcher ». Durant ce trajet, j’essaye de lui faire prendre conscience de l’environnement sensoriel (les odeurs, les bruits, et la perception du sol (carrelage froid, glissant)) afin qu’il perçoive mieux ce qu’il l’entoure et qu’il acquiert la notion de temps lors de ses déplacements en portant son attention sur ses perceptions sensorielles de l’environnement.

Arrivé près du bassin avec tout le groupe, Raphaël entre sans difficulté dans l’eau mais attend qu’il y ait un adulte dans l’eau. Il s’assoit sur le bord et descend doucement jusqu’à sentir le fond de la piscine sous ses pieds. Une fois dans l’eau Raphaël demande à marcher seul, il se déplace dans le bassin sans technique d’exploration et sans appréhension. Ceci montre qu’une stimulation tactile globale permet à Raphaël de sentir son corps et l’environnement et aussi de lui conférer plus d’assurance et d’autonomie. En marchant sur la pointe des pieds dans l’eau, il travaille son équilibre.

L’eau est un élément où il se sent bien, qui le rassure par sa fonction d’enveloppement. De plus, l’eau lui a permis de mettre des mots sur ses sensations corporelles. En position assise, soutenu sous les aisselles, un mouvement droite/gauche et en arrière à différente vitesse lui fit prendre conscience du mouvement de ses membres inférieurs « ça fait bouger mes jambes ». Avec l’adulte, il arrive à lâcher ses appuis plantaires pour se mettre sur le dos ou assis et accepte d’ être tirer en arrière vite ou en tournant. Au début, il lui a été difficile de se mettre sur le ventre par peur, mais après une mise en confiance par des portés contenants et un travail sur les retournements dos/ventre en appui sur les membres supérieurs de l’adulte, il apprécie et redemande cette nouvelle position. Il arrive quasiment seul (mes mains lui servent d’appui mais je ne donne plus l’impulsion du mouvement comme au début) à se retourner en se tortillant. Ces situations lui permettent entre autre de faire travailler son système vestibulaire. Il prend de l’assurance dans l’eau et se permet de sauter. Depuis le début des séances, son attitude dans le bassin a changé. Auparavant, craintif face à tout nouveau matériel, il accepte désormais avec plaisir toutes nouvelles propositions, il est alors dans le jeu et l’exploration avec l’espace du bassin. Quand il pousse et tire la ligne d’eau, il me semble qu’il explore les notions de en avant/en arrière. En faisant cela, il est maître de ses sensations, du mouvement de l’eau sur son corps. C’est un plaisir qu’il maîtrise.

Il peut également prendre de la distance avec l’adulte. Au début, il avait besoin de contact physique maintenant, il peut exprimer une prise de distance verbalement (en disant « je vais tout seul » ou « au revoir ») et en lâchant la main de lui même pour marcher dans le bassin. Cette identification par le « je » est une chose qu’il n’arrivait pas à faire au début, il disait son prénom pour parler de lui. Durant ces déplacements, seul dans le bassin, il interpelle régulièrement les adultes pour discuter avec eux et surtout les éclabousser en claquant fort l’eau. De cette manière, le contact avec l’adulte semble conservé. Il peut être à l’initiative de l’échange avec l’adulte dans des bruits et bulles avec la bouche à la surface de l’eau. Le bruit de l’eau semble être important et rassurant pour lui.

Cependant, les interactions avec les autres enfants sont quasi inexistantes. Des rencontres sont alors organisées sous forme de jeu à éclabousser les autres binômes afin de favoriser les échanges mais peu fructueuses pour l’instant. Raphaël n’est pas du tout intéressé par les autres enfants.

Pour favoriser, d’une part la prise de repère dans le temps et d’autre part, la cohesion de groupe, un rituel de sortie de l’eau est mis en place sous forme d’une chanson et un petit train auquel Raphaël et l’adulte doivent s’accrocher. Une fois sortis de l’eau et enroulés dans la serviette, Raphaël et les autres enfants disent « au revoir piscine ». Le trajet petit bassin/douche est difficile pour Raphaël qui manifeste sa fatigue par une marche ralentie. Arrivé à la douche, Raphaël veut appuyer sur le bouton, je le guide et le laisse faire. Durant cette douche, je propose à Raphaël de passer le gant, il refuse de le prendre alors je lui dis que c’est moi qui vais le passer. Nous travaillons à ce moment le renforcement du schéma corporel, par la nomination par Raphaël ou moi des différentes parties du corps touché par le gant

De nouveau dans le vestiaire, Raphaël est sollicité pour le séchage du corps et des cheveux. L’habillage comme le déshabillage se fait sur induction verbale et sur amorçage du mouvement. Il est important de prévenir Raphaël qu’il va être toucher, de verbaliser ce qui va se passer dans le futur immédiat –nommer les objets, les évènements qui se vivent dans l’ « ici » et « maintenant »- sans toutefois abreuver l’enfant de paroles dont il ne peut plus extraire une signification, une information, mais lui laisser le temps de la réponse. Ensuite, il y a le passage sous le sèche-cheveux qui est plutôt apprécié par Raphaël.

Durant le trajet, il présente beaucoup de stéréotypies verbales (pose toujours les mêmes questions dont il connaît les réponses, siffle ou fait des bruits répétitifs avec sa bouche) et gestuelles (sort sa langue) qui lui semblent nécessaire pour gérer certaines situations d’angoisse (silence ou les moments sans sollicitation de l’adulte). Il me semble important de le rassurer sans cesse. Ces stéréotypies sont moins présentes dans l’eau et disparaissent lors des portages. Dans la voiture, au retour, il a pu me dire qu’il avait bien aimé la douche et m’éclabousser. Un jour, il dit «j’ai fais du quad avec mon père » mais il n’arrive pas à répondre aux questions « où ? » et « quand ? ». Après des stimulations corporelles rassurantes dans l’eau, le temps du trajet est plus axé sur la verbalisation, les enfants étant plus détendus peuvent être plus dans l’échange.

Au cours de ses séances, Raphaël a manifesté du plaisir. La stimulation corporelle globale par l’eau a permis une certaine autonomie pour Raphaël dans ses gestes et l’appréhension de l’espace lors des temps de déplacement seul dans l’eau. Le travail serait à poursuivre pour renforcer cette ouverture à l’espace extérieur et notamment développer des échanges avec les autres enfants en utilisant toujours l’eau mais cette fois plus comme un lien entre les différentes personnes.

Mes observations se basent sur les séances de piscine de septembre à décembre (moins les absences de Raphaël soit cinq séances). La séparation et la fin des séances n’ont pas pu être abordées car la prise en charge s’est arrêtée brutalement suite à la fermeture de la piscine pour travaux urgents.

2. Présentation de Mme B.

Présentation

me B est née le 21/11/1916, elle a donc 91 ans lors de notre rencontre à la maison de retraite médicalisée. Elle présente une dégénérescence maculaire liée à l’âge et un problème auditif.

me B est une femme vive, mince qui parait plus jeune que son âge. Elle se déplace avec une canne d’appui (blanche).

Anamnèse

me B est l’aînée d’une famille de sept enfants. Elle a été professeur de dessin après avoir travaillé pour un journal. Elle parle beaucoup de son activité professionnelle et personnelle (la photographie, ses voyages, sa vie…). Elle s’est mariée, elle a eu quatre enfants (3 garçons et 1 fille) puis a divorcé vers 45-50 ans.

Elle a vécu longtemps seule avec des aides (femme de ménage, infirmier) dans un appartement à Paris. Suite à une chute suivie d’une hospitalisation, elle arrive en maison de retraite en avril 2007 puis est mise sous curatelle exercée par sa fille.

L’institutionnalisation est un peu difficile, elle fait semblant de l’accepter. Elle n’attend rien de ses enfants et veut vivre sa vie comme elle l’entend. Elle est demandeuse de rencontrer des personnes qui ont les mêmes centres d’intérêt. Cependant, elle reste beaucoup avec un résidant ce qui semble freiner son intégration au sein de la maison. Néanmoins, elle participe à un atelier de stimulation mémoire en groupe ouvert quasiment tous les soirs.

D’après le dossier, Mme B présente les antécédents médicaux suivants : Plastie mammaire bilatérale 2 liftings Accident Ischémique Transitoire (AIT) en 1995 (manque d’oxygène au niveau du

cerveau) Dépression toujours présente mais traitée Dégénérescence maculaire liée à l’âge (DMLA) Hypercholestérolémie Chute à répétition Fracture de la tête humérale gauche immobilisée en octobre 2006

D’après le dossier, son traitement actuel est constitué de : Reminyl : traitement contre la maladie d’Alzheimer Rivotril : contre les douleurs musculaires Seroplex : antidépresseur Stilnox : somnifère Xanax (si besoin) : calmant

2.1. Autres bilans

Bilans spécifiques au domaine gériatrique

Le bilan d’autonomie Groupe Iso Ressources fait le 22/05/2007 conclut que Mme B a un GIR de 6, elle est donc cohérente et capable d’effectuer les actes de la vie quotidienne seule. Cependant, les déplacements à l’extérieur sont plus difficiles du fait de sa déficience visuelle et du risque de chute.

Le MMS (Mini Mental Score), bilan qui décèle les symptômes caractéristiques des démences a été réalisé le 5/12/2007. Mme B obtient un score de 23/27. Les trois derniers items sont impossibles à faire passer du fait de ses problèmes visuels c’est pourquoi le score n’est pas sur 30 ce qui ne conclue pas à un trouble démentiel.

Compte rendu ophtalmique

En décembre 2006, Mme B a eu une angiographie à la fluorescence qui a révélé des néo vaisseaux choroïdiens (sous rétinien) bilatéraux non accessible à une thérapeutique. Ce qui se traduit par une lésion néo vasculaire ayant atteint la fovéa du coté droit et un néo vaisseau sous rétinien ayant largement dépassé la fovéa du coté gauche. Ce qui correspondrait à une DMLA avec néo vascularisation choroïdienne soit une DMLA exsudative dite « humide ». (voir théorie).

2.2. Evaluation psychomotrice

Inspirée du bilan géronto-psychomoteur de R. Dupont

me B participe volontiers à cette passation de bilan, elle trouve les exercices « amusants ». Elle parle beaucoup de son passé, et de l’avenir.

Mme B présente une tonicité importante au niveau des membres supérieurs, des participations et des anticipations des mouvements sont observées lors des mobilisations passives. L’épreuve des diadocosynésies ne révèle pas de syncinésies. Le relâchement des bras en auto commande est assez rapide. Ces observations sont en relation avec sa personnalité, elle contrôle tout et ne veut rien laisser paraître de négatif.

Son équilibre bipodal est bon avec un polygone de sustentation légèrement élargi. Son équilibre unipodal est meilleur en appui droit. Pour les coordinations dynamiques, elle se déplace avec une marche rapide sans appui en milieu intérieur et avec un appui (canne) en extérieur qui amène son centre de gravité vers l’avant. Cependant sa posture générale reste relativement droite. Elle présente une bonne adaptation au terrain en modifiant ses appuis et son poids du corps. Elle possède de bonnes possibilités motrices, les changements de postures sont aisés (debout, assis, quatre pattes). Les changements de directions sont bien réalisés mais exécutés rapidement et à petit pas ce qui peut l’amener à glisser et tomber. Elle a une bonne coordination des mouvements, elle fonctionne de manière symétrique au niveau des membres supérieurs mais aussi au niveau de chaque hémicorps. Par contre, les dissociations entre les deux membres supérieurs sont plus difficiles ainsi que celles entre les membres inférieurs et supérieurs.

Les praxies idéatoires, idéomotrices et constructives sont réussies avec une prédominance de la main droite ce qui l’étonne. Dans la reproduction de forme, sa déficience visuelle est gênante mais la réalisation a été possible grâce à sa mémoire kinesthésique. Elle présente de bonnes habiletés manuelles. Elle a une bonne représentation mentale.

Son schéma corporel reste bien structuré, elle va même jusqu’à l’énumération de tous les os avec des descriptions très précises. Son image du corps semble plus fragile du fait de son manque de confiance en elle, dissimulé derrière son verbalisme et ses connaissances. Elle ne dessine pas de bonhomme mais décrit sa façon de faire en donnant les proportions de chaque partie du corps. Elle « donne le change » en prenant soin d’elle, en demandant au personnel si les couleurs de ses vêtements sont bien coordonnées. Elle fait attention à sa ligne (elle ne prend pas de collation mais s’hydrate) et fait une promenade quotidienne autour de l’établissement.

Sur le plan de l’espace, Mme B a une bonne connaissance des notions spatiales. Elle présente une bonne représentation et structuration de l’espace. Elle n’explore pas de manière spontanée les espaces nouveaux, elle reste sur des trajets connus.

Au sujet de la sphère temporelle, Mme B arrive à restituer la date ou l’heure en s’appuyant sur des repères extérieurs. La reproduction de rythme est réalisée et réussie avec aisance.

Sa mémoire ancienne est bien conservée. Sa mémoire immédiate est plus faible mais elle maintient tout de même une capacité d’association.

En ce qui concerne la vigilance et l’attention, Mme B est plutôt labile du fait de son verbalisme.

Dans le domaine de la sensorialité, Mme B présente une bonne perception tactile. Son problème d’audition, devenant problématique et gênant pour elle, est corrigé par un appareillage des deux oreilles. Elle semble mieux entendre. Du fait de sa dégénérescence maculaire liée à l’âge, Mme B a une vision uniquement périphérique (avec une meilleure perception à droite selon elle) ce qui lui permet de se déplacer et de « voir » des objets sur les cotés, si elle est bien placée.

me B a une bonne capacité de communication. Son langage est cohérent et compréhensible. Elle est très bavarde (monopolise la parole) et le reconnaît. Elle est dans un monologue. Cette attitude et ses problèmes sensoriels ne l’aident pas à s’intégrer et à se faire apprécier. Au cours de la passation, Mme B néglige ou nie ses difficultés. Elle manque de confiance en elle mais arrive à cacher ses difficultés aux autres.

En conclusion, Mme B a de bonnes capacités motrices, cognitives et spatio-temporelles. Cependant, ses difficultés de régulation tonique, son augmentation du tonus, son manque de confiance en elle et ses atteintes sensorielles altèrent ses possibilités de déplacement, son autonomie notamment dans de nouveau espace à appréhender. Mme B désinvestit ce qu’elle pense ne plus pouvoir faire ou ce qui l’amènera à un échec, et elle surinvestit les domaines qu’elle maîtrise comme le langage sans pouvoir vraiment échanger avec d’autres. C’est pourquoi, une indication de prise en charge en psychomotricité peut être proposée afin de lui redonner confiance dans ses possibilités et maintenir le plus possible son autonomie.

2.3. Projet thérapeutique

Problématique

me B montre d’une part des troubles toniques majorés par son déficit visuel qu’elle a du mal à définir et par son problème auditif et d’autre part un caractère ambivalent entre le manque de confiance et la monopolisation de l’attention d’autrui sur elle, avec le surinvestissement du langage par rapport au corporel.

Cadre

La prise en charge a débuté en décembre 2007. Mme B. est aujourd’hui suivie une fois par semaine, à jour et heure fixe, dans sa chambre ou en salle Snoezelen. La durée d’une séance varie généralement de 45 minutes à 1 heure.

Objectifs thérapeutiques

En vu des conclusions du bilan, le travail de psychomotricité s’axera plus spécifiquement sur la régulation tonique, mais également sur le ressenti corporel qui me semble occulté par son verbalisme. Ayant des déficits sensoriels, l’adaptation et la compensation sont au centre de sa problématique. C’est pourquoi, le lieu des séances se déroulera en salle snoezelen, afin de stimuler l’adaptation à un nouveau lieu, pour elle encore inconnu et les déplacements dans l’établissement puisque cette salle se situe dans un autre bâtiment.

En se basant sur ses capacités sensorielles, j’axerai le travail sur la perception du tonus musculaire en dynamique et en passif. Ensuite, je lui proposerai de travailler sur la régulation tonique (avec des balles, des ballons, de la pâte à modeler, des rubans….) pour favoriser un meilleur ajustement tonique qui permettra une meilleure adaptation gestuelle notamment au cours de déplacement. Je proposerai également un travail sur les appuis plantaires afin de lui apporter un maximum d’informations kinesthésiques. De même, un travail rythmique permettra d’aborder le contrôle de l’impulsivité lors des déplacements.

Le travail sur la régulation tonique passera également par de la relaxation. Mme B soucieuse de son corps et de son apparence pourra par la relaxation effectuer un travail corporel plus axé sur son ressenti, la prise de conscience de ses limites en dehors de la perception visuelle qui est altérée chez elle. Il me semble important de donner accès à Mme B. à une sensation de détente.

Par ailleurs, l’objectif de la prise en charge tendra vers le plaisir et le bien être de Mme B. Un temps de verbalisation clôturera chaque séance permettant ainsi à Mme B d’échanger, d’exprimer ses émotions, ses craintes, ses ressentis, son vécu et de lui donner un temps de parole avec un cadre de début et de fin pour canaliser ses excès de verbalisation.

2.4. Evolution

Notre première rencontre se fit lors d’une promenade dans le parc. Une poignée de main tonique me donnait une bonne indication sur le tonus de Mme B. Sa vitesse de marche avec une canne confirma mes premières impressions de dynamisme chez cette dame. Elle se définit comme bavarde et curieuse. Elle est également très cultivée. Ses descriptions des environs et des itinéraires sont d’une précision qui en fait presque oublier qu’elle est malvoyante.

A l’intérieur, elle se déplace sans canne. Une fragilité de la hanche droite et de l’épaule gauche (douleur suite à d’ancienne chute) est peu perceptible.

Au cours des séances, Mme B ne semble pas vouloir investir le nouveau trajet que nous parcourons, elle me dit ne pas vouloir le mémoriser et donc se repose sur moi. Au cours des premières séances, le manque de lumière et la configuration du couloir rendent sa marche avec ou sans canne sinueuse comme si elle était attirée par le mur. Sa marche faite de petits pas rapides ne lui permette pas de détecter ni d’anticiper les obstacles éventuels. Ainsi, je lui fais passer lors d’une séance, le test « get up and go » pour observer sa marche. Le relever de chaise se fait avec une forte pression sur les accoudoirs. La marche est relativement droite si je me place au bout du parcours alors qu’elle est plus sinueuse si je me place à ses cotés. Peut être qu’en étant à ses cotés je perturbe son champ visuel ? Le demi-tour se fait par petit pas et elle se rassoit avec contrôle. Elle met 29 secondes sans canne pour réaliser le parcours. Cela reste raisonnable pour une dame âgée de 91 ans malvoyante.

Elle m’explique qu’elle est obligée de marcher vite pour ne pas tomber et par habitude. Au fur et à mesure des séances malgré son discours de désinvestissements du trajet, je note une adaptation, en effet elle utilise le mur pour se déplacer et se repérer dans cet environnement peu éclairé. Globalement, j’observe que l’aller et le retour de séance sont très ressemblants au niveau de son rythme de marche. Elle ne semble pas prolonger, au niveau de sa marche, la détente de la séance lors du retour mais elle perçoit intérieurement des changements (jambes lourdes ou engourdies) qui pour le moment ne modifient pas ses déplacements, la détente est donc à poursuivre pour faciliter ses déplacements.

Dans la salle, elle porte peu d’importance à son installation mais elle est soucieuse de la mienne. Au début, des exercices variés (propositions de matériel) sont proposés pour capter son attention, son intérêt et découvrir ses préférences. Le matériel, comme les balles à picot, le balle dur et lisse ou molle et lisse, est moins stimulant que le touché des mains « bienfaisant » selon elle. Cependant, elle aime beaucoup le ballon de baudruche. Désormais, je lui propose des exercices de stimulations proprioceptives (mobilisations passives) et tactiles (pression) qu’elle a appréciés, afin d’approfondir dans le temps un meilleur ressenti. Au cours de ce travail corporel, Mme B exprime beaucoup ses sensations (fraîcheur de mes mains agréables, différence de pression, jambes lourdes), mais la détente est rare. Cependant, il lui est difficile de se concentrer sur son corps sans parler d’autres choses. Je prends en compte, l’état émotionnel et nerveux de Mme B ainsi que la séance précédente afin de proposer des exercices adaptés.

Les exercices en passif sont préférés aux exercices en actif qui sont moins investis et donnent souvent lieu à des verbalisations. Elle est consciente d’être dans la parole et non dans l’action. Comme elle semble justifier ses difficultés en rapportant tout au fait qu’elle ne voit pas, je propose donc des exercices les yeux fermés afin de me trouver dans la même position qu’elle et donc de la valoriser dans ses compétences. L’occlusion des yeux n’amenant pas d’angoisse, elle est utilisée pour favoriser la concentration sur son corps. L’humeur de Mme B. est assez labile, parfois elle parvient à se centrer un léger temps sur son corps, mais à d’autre séance, je pense qu’elle s’oppose dans le but d’exprimer sa colère face à cette situation non désirée (l’institutionnalisation).

Les stimulations plantaires ont été abordées, au bout de quelques séances pour travailler d’avantage sur les tensions/détentes au niveau des pieds et des jambes dans un but d’amélioration de l’autonomie de déplacement. Les stimulations sont faites avec un ballon de baudruche car c’est un médiateur que Mme B. semblait bien appréciée lors des premières séances d’exploration du matériel. Un ballon de baudruche positionné sous ses pieds, a permis un travail de contrôle tonique au niveau des membres inférieurs car elle devait bouger le ballon sans le perdre et donc en adaptant sa pression pour ne pas l’éclater. Ces stimulations ont permis d’une part, de limiter la verbalisation et de centrer l’attention sur son corps et d’autre part, de permettre un jeu de tension/détente amenant un meilleur contrôle tonique. De plus, cela a permis un travail de discrimination plantaire plus fine car au cours d’une séance Mme B par le mouvement de ses pieds sur le ballon a discriminé qu’il n’y avait qu’un ballon et non deux sous ses deux pieds comme elle le pensait au début. Les pressions actives contre mes paumes de mains en déroulant le pied du talon à la pointe amènent Mme B à ressentir des contractions au niveau des genoux et des mollets.

Elle aborde en séance, à plusieurs reprises, le fait d’avoir des difficultés à aller doucement, de plus, elle n’adapte pas son rythme de marche à l’environnement, c’est pourquoi nous avons débuté un travail sur le rythme. Le rythme est abordé et révèle des difficultés. Son rythme propre est rapide en trois temps, elle dira « toujours avoir couru après les trains ». Le rythme lent, plus difficile pour elle, se traduit par un ennui sur son visage. Lorsque je lui propose de marcher sur son rythme propre, elle le ralentit légèrement au rythme de ses pieds. Sur le rythme lent, elle dira que c’est trop dur car elle est en déséquilibre cependant elle le fit sans perte d’équilibre. La peur rend la marche lente difficile, elle dit qu’elle marche vite pour ne pas tomber (et par habitude). Elle ne présente pas de troubles de l’équilibre, mais elle ne peut détecter visuellement et anticiper les obstacles au sol du fait de sa déficience visuelle et de son pas rapide. Le travail sur la diminution de son rythme d’exécution gestuelle et de déplacement est à poursuivre pour favoriser son adaptation à son environnement qu’elle perçoit moins du fait de sa déficience visuelle.

Le rythme et la détente sont aussi abordés au cours d’un travail sur la respiration. La respiration a fait émerger des émotions et des souvenirs. Elle localise sa respiration au niveau de la poitrine. Des pressions sur les membres supérieurs en rythme avec sa respiration semble l’apaiser sur le moment seulement. Les sentiments d’incompréhension sur sa présence dans la maison ressurgissent avec une douleur à la nuque et une nervosité palpable. Elle se rend compte de ses difficultés face à ses émotions et s’excuse « de ne pas avoir été là » et dit « je sais pas ce que j’avais », je reformule son discours afin qu’elle se sente comprise et écoutée.

Selon ses paroles, la séance est « une occupation comme les autres ». Mais, elle dira aussi « qu’elle n’a pas vu passer la séance » et « à vendredi en me serrant la main avec un grand sourire » avant que je ne lui dise. La confiance s’est installée au fil des séances (elle me parle de passage de son enfance dont elle n’a jamais parler à personne selon elle). Elle a « peur de perdre la tête », elle doute de ses pensées, ses souvenirs. Elle m’attend de plus en plus souvent.

Les séances sont souvent troublées par des paroles, des souvenirs ou des intellectualisations difficiles à canaliser, mais aussi par des problèmes relationnels avec les autres résidants au sein de la maison. Toutefois, nous abordons un travail corporel de plus en plus précis, avec l’augmentation du temps d’attention et de concentration.

Conclusion :

Malgré un discours négatif sur l’investissement du nouveau parcours de sa chambre à la salle, je note, tout de même, des adaptations et des repères pris. Toutefois, le rythme de marche reste rapide et peu adapté à sa perception visuelle tardive des obstacles. D’ailleurs, Mme B. vient de chuter récemment, c’est pourquoi le travail sur le rythme et l’adaptation corporelle me semble important à poursuivre.

Les exercices proprioceptifs et tactiles passifs ainsi que les stimulations plantaires sont à continuer pour favoriser la détente et la régulation tonique. De plus Mme B ne présente pas de trouble de l’équilibre à proprement dit mais une réticence à ralentir sa marche, c’est pourquoi les exercices de rythme vont l’aider à prendre confiance en ses capacités.

L’intervention d’autres professionnels (kinésithérapeute pour ses douleurs et la psychologue ou le médecin pour ses perturbations de la pensée) peut être envisagée.

La fin de prise en charge sera travaillée avec l’aide d’un calendrier pour l’aider à se repérer et aborder la séparation car elle a bien investi la prise en charge et ma présence le vendredi où elle m’attend.

Après avoir vu les objectifs, les moyens et les modalités d’une prise en charge avec les personnes déficientes visuelles autour de l’approche corporelle et sensorielle, j’aborderai dans la discussion qui suit, mes réflexions et mes difficultés rencontrées dans ma pratique psychomotrice.

PARTIE DISCUSSION

Des réflexions et des questions ont étayé la rédaction de mon mémoire. Dans cette partie, je vais essayer de vous en faire part.

Dans un premier temps, je me suis demandée s’il y avait un rapport entre les médiateurs choisis et la précocité de la déficience visuelle. Ensuite, je me suis interrogée sur « le choix » des domaines de compensation et les troubles spécifiques ou non à la déficience en fonction de l’âge d’apparition de la perte de la vision. Enfin, j’ai trouvé intéressant de parler de l’environnement institutionnel des personnes déficientes visuelles en fonction de leur déficience (précoce ou tardive).

1. Spécificité entre les médiateurs choisis et la précocité de la déficience visuelle.

En réalisant ma théorie, je me suis rendue compte que la cécité et la malvoyance étaient deux mondes différents. De même, la déficience précoce et la déficience tardive n’amènent pas les mêmes retentissements psychomoteurs. Effectivement, chaque personne déficiente visuelle est unique du fait de son déficit et de son histoire. Ce qui est primordial de garder en tête, c’est l’âge de survenue et le potentiel visuel restant (soit la différence entre une déficience visuelle précoce/tardive, et cécité/malvoyance). Tous ces paramètres donnent une multitude de combinaisons qui rendent la déficience visuelle complexe.

D’après la théorie, il existe autant de déficience visuelle que d’individu. Effectivement, Raphaël atteint d’une cécité fonctionnelle congénitale (malformation du cerveau) est dit « aveugle congénital ». Mme B est considérée comme malvoyante tardive du fait de sa DMLA, d’un point de vue théorique, elle a conservé une vision périphérique qui lui permet de se déplacer.

Comme je l’ai dit dans la théorie, la prise en charge d’une cécité précoce et d’une malvoyance tardive est différente, cependant je me suis rendue compte en prenant du recul sur mes prises en charge en psychomotricité que j’avais abordé chacune de leur problématique respective par l’approche corporelle et sensorielle pour réduire l’angoisse de la perte de la vision et consolider ou construire un schéma corporel sur lequel ils pourront s’appuyer pour développer ou conserver leur autonomie.

J’ai utilisé des médiateurs différents pour travailler avec Raphaël et Mme B pour plusieurs raisons. Mme B aimant l’eau, je pense qu’un travail en baignoire aurait été possible (mais la salle de « bain thérapeutique » est occupée au moment de la prise en charge de Mme B) mais en vue des objectifs définit suite au bilan, l’eau n’aurait pas pu répondre à tous les objectifs de son projet. Comme nous le verrons par la suite, il me semble que le toucher thérapeutique soit plus approprié pour répondre à la problématique de Mme B.

Pourquoi ne pas avoir proposé le toucher thérapeutique à Raphaël ? Raphaël a une appréhension face au toucher comme beaucoup d’enfant aveugle précoce. De plus, le toucher me semble intrusif voir même morcelant. Raphaël n’a jamais perçu la totalité de son corps visuellement, il le perçoit de manière sensorielle donc porter une attention sur une zone en la touchant pourrait lui donner une perception morcelée. De plus, il ne perçoit pas l’approche de la main de l’autre. C’est pourquoi, il est important de le prévenir qu’il va être toucher afin d’éviter les réactions toniques et émotionnelles dues à la surprise du contact.

Pour Mme B, c’est différent, le toucher est agréable. Sa vision périphérique lui permet de percevoir l’approche de la main de l’autre. Ce qui est important de prendre en compte dans le cas de Mme B, c’est sa capacité de représentation mentale de son corps qu’elle a déjà vu, qu’elle connaît bien (os et muscles) et qui lui permet d’associer chaque partie du corps touché en un ensemble plus global de son corps. Elle peut faire le lien mental entre le toucher d’une partie et l’ensemble de son corps car elle a déjà vu son corps en entier. Nous verrons les bienfaits du toucher pour Mme B par la suite.

Revenons à Raphaël pour qui le médiateur « eau » a été choisi. Pour Raphaël, l’eau présente les avantages d’être plus unifiant car elle stimule plus globalement le corps et lui permet de contrôler les stimulations sur son corps car c’est lui qui rentre en contact avec l’eau (et réciproquement) et non lui qui subit passivement le toucher de l’autre. Dans l’eau, Raphaël est maître de ses sensations, il est autonome, c’est lui qui frappe l’eau, qui explore la surface de l’eau avec la bouche et ressent les effets de l’eau sur l’ensemble de son corps. L’eau vient envelopper Raphaël dès qu’il se glisse dans le bassin. La consistance de l’eau, sa fluidité et sa capacité d’enveloppement de tout le corps donne les contours formels, les limites entre l’extérieur et l’intérieur du corps. Cette sensation est une sensation de proximité, d’une certaine manière, de sécurité, sans doute due à l’enveloppement ou à la température de l’eau. La douche amène également des ressentis. L’eau sensibilise toute la peau qui recouvre son corps. L’eau présente une série de stimulations tactiles inconnues. L’eau propose des possibilités infinies. L’eau étant liquide, elle permet d’innombrables jeux : la verser dans un récipient, s’en éclabousser, la jeter, la faire gicler. Elle permet de flotter ou de se laisser couler (fonction que Raphaël n’a pas encore explorée). L’eau bouge lors de tapotements ou de remous avec les mains.

Au niveau de la conscience du corps, l’eau invite l’enfant à sentir et cerner toute sa corporalité, tout en développant sa sensorialité. L’eau est un médiateur privilégié car c’est l’un des rares milieux où l’enfant peut percevoir son corps en globalité et dans l’instantané. Les jeux corporels sont soutenus par des mots spécifiques qui guident l’enfant dans le mouvement et l’espace. Un travail sur le corps est nécessaire afin que l’enfant puisse structurer son schéma corporel.

Pour Raphaël, l’eau et son toucher sont intéressants dans son action « contenante » et sécurisante ce qui lui permet d’avoir plus d’initiative dans l’eau et de prendre de l’assurance en disant « je ». L’eau aide Raphaël à s’individualiser.

De plus, l’eau présente l’avantage de faire du bruit ce qui permet à Raphaël de mieux percevoir l’approche de quelqu’un par le bruit mais aussi par les ondes (dans l’eau). Les jeux d’eau proposent également des stimulations auditives très investies par Raphaël; l’eau gicle avec bruit lorsque nous éclaboussons le corps de l’autre. L’eau clapote contre les bords du bassin ce qui donne un repère de l’espace du bassin. Il aime faire des bulles à la surface de l’eau ce qui lui permet de travailler les limites entre l’intérieur et l’extérieur du corps au niveau de la bouche mais aussi de ressentir des stimulations labiales.

Dans une piscine, les stimulations gustatives et olfactives sont également présentes. Souvent, il y règne une odeur caractéristique de chlore et de produits désinfectants. Lorsqu’il boit la tasse ou simplement sort sa langue, nous pouvons parler d’expérience gustative.

L’eau est un espace transitionnel qui permet d’éviter ou faciliter le « peau à peau » Raphaël peut alors découvrir son corps et l’apprivoiser grâce aux approches corporelles (stimulations tactiles et proprioceptives) comme la douche de la piscine mais aussi dans l’eau où il peut vivre des expériences sans craindre de se faire mal. L’eau lui donne une enveloppe sécurisante et « contenante » . Ses mouvements prennent appui sur l’eau et le corps de l’adulte, à ce moment là, c’est lui qui décide de toucher Ces appuis physiques et verbaux sont importants dans la structure de son schéma corporel, de son image du corps et dans son développement psychomoteur. Lors de portages sécurisants, il est amené à se détendre. L’eau offre un support aux mobilisations corporelles.

Pour la perception de globalité corporelle de Raphaël, ne pouvons nous pas émettre des hypothèses sur le choix de médiateurs plus globaux (enveloppement fait par l’enfant dans des draps, couvertures…) pour une déficience précoce ? Ne pouvons nous pas dire que du fait du manque visuel global du corps dû à la déficience précoce, qu’il convient d’avantage de choisir des médiateurs plus globaux? Je ne peux pas généraliser le cas de Raphaël mais il me semble intéressant de poursuivre cette réflexion avec d’autres professionnels qui travaillent avec les personnes déficientes visuelles précoces.

En ce qui concerne le choix du « toucher thérapeutique » pour Mme B, il m’a semblé le plus adapté en vue de ses altérations sensorielles (visuelles et auditives). De plus, elle a très vite appréciée ce travail. Pourquoi un tel engouement de la part de Mme B, face au toucher thérapeutique ? Peut être par ce que le tact est le sens qui est le moins altéré par le temps et celui qui n’est pas défectueux chez Mme B.

Chez Mme B, le toucher est vecteur de symbolisation dans la reconnaissance de leur identité en tant que sujet. « Toucher, c’est en quelque sorte « porter l’autre » vers une connaissance ou reconnaissance de lui-même en tant que sujet. » (Potel, 2000, p.125). C’est dans cet esprit qu’est pratiqué le toucher thérapeutique.

De plus, le toucher est un échange, il est toujours réciproque, le patient peut percevoir notre état lors d’un toucher thérapeutique tout comme nous le percevons. Le toucher nous fait ressentir des choses à l’intérieur de nous même.

En quoi ce médiateur est très complet dans l’approche de la personne âgée malvoyante tardive ?

Selon Blossier (2000, p.73), sur le plan psychomoteur, les stimulations tactiles ont un effet bénéfique sur la construction du schéma corporel et de l’image du corps. Par le toucher, la personne peut découvrir des sensations de plaisir et de bien-être restructurant permettant progressivement une consolidation et une représentation unifiée du corps. Effectivement, suite à la perte de la vue et de l’audition par le fait du vieillissement, il est important de faire vivre le corps de la personne âgée malvoyante tardive autrement.

Le toucher thérapeutique facilite la concentration de la personne et amène des sensations de détente et de bien être rapidement. Il me semble participer à l’individualisation et agir contre le repli car il garantit l’existence du sujet. Les bénéfices du toucher pour Mme B, me semblent liés à l’âge et aux pertes dues au vieillissement. Comme Tessier (2001) je pense que les besoins de la personne âgée sont différents suivant son âge, sa personnalité et son environnement.

En abordant les réactions de Mme B lors des touchers thérapeutiques, je vais essayer de montrer les bénéfices de cette médiation pour la personne âgée malvoyante tardive. La prise de contact par le regard avec Mme B est particulière, elle se fait en me plaçant à ses cotés du fait de son déficit visuel central. Le premier contact au niveau des mains amène Mme B à exprimer une sensation thermique agréable: la fraîcheur de mes mains. L’utilisation de pressions légères et régulières sur le corps permet un rassemblement corporel. Ensuite, les mobilisations passives des différents segments des membres de façon lente et rythmée permettent un relâchement musculaire global. Le but est d’obtenir différents états de relaxation en faisant disparaître toutes les résistances musculaires inopportunes. Les stimulations des pieds, des mains, de la tête ou du cou amènent chez Mme B un lâcher prise qui se traduit par le silence. Lors de ce temps, elle pense à son corps et à ses sensations, ce qui lui permet de faire abstraction un court instant de son quotidien. Pour elle, les stimulations tactiles et proprioceptives amènent de nouvelles sensations, une prise de conscience afin de donner un autre sens à ce corps vieillissant. Elles lui permettent de restructurer son schéma corporel et son image du corps. Cette approche de la relaxation avec stimulations tactiles et pressions lui apporte un moment de détente. Il serait intéressant d’essayer la méthode Jacobson avec Mme B. Cette méthode vise à réduire le tonus musculaire et donc l’excitabilité cérébrale pour mettre le cortex en repos. Le temps de reprise est très court chez Mme B qui aussitôt les mobilisations terminées me reparle de ses problèmes à la maison de retraite. Sa verbalisation se fait en même temps que les mobilisations. En gériatrie, le toucher tient une place importante autant dans la relation de tous les jours que dans les techniques thérapeutiques. Il correspond à la fois à un besoin profond de la part de la personne âgée et à l’un des seuls moyens de communication qui résiste au temps.

Ce travail de toucher thérapeutique peut être préparatoire à un travail de relaxation afin d’aider la personne âgée à mieux vivre ses pertes dues au vieillissement et d’autonomiser la recherche de détente au cours de la journée et dans les déplacements en ce qui concerne Mme B.

Selon Pitteri (2000), la relaxation permet de mettre en fonction le corps dans des projets et des processus dynamiques car moins le corps est un lien d’échange, moins il s’intègre à la vie de l’individu et plus il est l’objet de désinvestissement ou de surinvestissement inacceptable pour l’économie personnelle. Grâce à des vécus corporels (liés aux variations de tonus musculaire), Mme B a modifié l’intérêt qu’elle portait à son corps. Son image du corps évolue vers une position positive satisfaisante narcissiquement. Mme B utilise peu le toucher par elle-même pour confirmer une sensation, situer dans l’espace une zone du corps et être réassurer. Mon toucher, accompagné de verbalisation adéquate, est la reconnaissance de Mme B en tant que sujet susceptible de vivre une sensation originale, propre à elle seule et digne d’intérêt.

Selon Hulsegge et Verheul (1989), dans notre culture, le toucher est en quelque sorte passé à l’arrière plan au profit de la vue. Nous vivons dans une société de « ne touche pas ». Toucher une autre personne, dans notre culture, prend régulièrement une connotation sexuelle c’est pourquoi il faut utiliser le toucher avec réserve et professionnalisme.

Ne pouvons nous pas penser que c’est le type de déficience soit cécité et malvoyance plutôt que la précocité de la perte qui guiderait le choix du thérapeute vers le toucher thérapeutique ? La personne malvoyante tardive et la personne aveugle tardive n’auront pas les mêmes réactions face au toucher thérapeutique. La première verra la main arrivée alors que la seconde sera surprise mais dans les deux cas le schéma corporel ne sera pas perturbé par un sentiment de morcellement. Auprès des personnes déficientes visuelles tardives, le morcellement suite au toucher thérapeutique semble éviter par la connaissance et la représentation mentale de leur corps entier. Le toucher thérapeutique n’est en aucun cas une contre indication pour les personnes aveugles précoces mais une médiation plus globale semble plus indiquée.

C’est pourquoi, dire au non voyant que l’on va agir sur lui, au niveau corporel, est indispensable afin qu’il se prépare d’une manière tonique à accompagner l’acte et évite une hypertonie réactionnelle qui peut être vécue comme une agression et se transformer en carapace tonique.

2. Domaines de compensation et troubles associés en fonction de la précocité de la déficience.

Comme nous l’avons vu dans la partie théorique, le travail psychomoteur va s’orienter sur les différents domaines de compensation utilisés par le déficient visuel précoce et tardif pour s’adapter et être le plus autonome possible. Cela permettra ensuite un travail d’autonomie dans les déplacements avec l’aide d’un instructeur en locomotion. Le travail des domaines de compensation n’est pas systématique tout dépend du projet établi (et des priorités) suite au bilan psychomoteur. J’ai remarqué un écart entre la théorie qui propose de travailler les domaines de compensation et la clinique qui montre des troubles divers empêchant d’aborder la compensation.

Pouvons nous émettre l’hypothèse que le choix des domaines de compensation se fait en fonction de la précocité de la déficience visuelle et/ou des troubles associés?

La compensation est différente chez la personne déficiente visuelle précoce et chez la personne déficiente visuelle tardive.

Selon Raynard (2002), une éducation pré compensatoire de l’ensemble des modes sensoriels permet l’optimisation des perceptions chez l’enfant aveugle. L’image des constituants de l’environnement se construit au travers de différentes modalités explorées et regroupées en une perception globale. Par exemple, pour l’automobile, l’entendre, tester sa forme et le revêtement des sièges, manipuler un véhicule miniature sont trois sortes d’approches indépendantes mais complémentaires pour que la personne puisse avoir une représentation mentale de la voiture. Cette globalisation de l’objet est réalisé par le langage du voyant si celui-ci est défectueux l’objet reste morcelé.

Dans le cas des personnes malvoyantes tardives, il est important de prendre en compte les solutions spontanées trouvées par la personne et de les intégrer afin de rassurer la personne. Faire émerger les compétences et redonner confiance dans des savoirs-faire antérieurs est prioritaire dans la prise en charge des personnes âgées.

Dans le cas de Mme B, elle a trouvé des stratagèmes pour contrer sa déficience. Elle peut réussir à lire l’heure approximativement en se positionnant à coté de l’horloge. Elle a mis en place des compensations qui semblent lui suffire. Cependant, elle va désinvestir tout ce qui pourrait la mettre en échec ou en difficulté et surinvestir les domaines conservés. Maintenant, nous allons aborder les différents vicariants utilisés par Raphaël et Mme B.

  • Le domaine de compensation utilisé spontanément par Raphaël est l’audition. Ce sens lui permet d’anticiper, comme nous le faisons avec la vue, les évènements d’une situation. Pour Mme B, l’audition est altérée par le vieillissement ce qui ne lui permet pas de l’utiliser au maximum. Le domaine de compensation semble plutôt être choisi parmi les vicariants les moins touchés par le vieillissement chez la personne malvoyante tardive. Son audition aurait été meilleure, Mme B aurait peut être plus investi l’audition. La compensation auditive ne semble pas spécifique à la précocité de la déficience, toutefois elle est fréquemment altérée par l’avancée en âge ce qui tendrait à penser que ce vicariant est peut être plus adapté à un déficit précoce? Et qu’en est il de la compensation tactile?
  • La compensation tactile est différente chez Raphaël et chez Mme B. Dans le cas de Raphaël, les troubles du comportement et son angoisse du toucher ont retardé et interféré dans l’acquisition de la compensation tactile. Dans le cas de Mme B, les domaines tactiles ont pu être abordés. La reconnaissance tactile n’est pas utilisée dans la vie quotidienne par Mme B malgré une très bonne représentation mentale et une exploration tactile organisée. Cela peut s’expliquer par l’utilisation de sa vision périphérique pour identifier des situations et des objets.

Selon Hulsegge et Verheul (1989), par le biais de nos sens, nous prenons conscience de notre entourage immédiat. L’inconnu éveille en nous le désir de la découverte. Mais, dans un premier temps, il peut éveiller la crainte. Cela a été le cas de Raphaël au début. Grâce à un travail individuel en psychomotricité dans la salle snoezelen avec le panneau tactile très riche, des progrès ont pu être observés et l’ont amené à ce désir de toucher. Il exprime cette envie d’abord verbalement en demandant s’il peut toucher tout ce qu’il entend comme la voiture, l’essence, les nuages... Cette demande est elle une demande de permission ou une sécurité pour lui ? Je pense que c’est plutôt une sécurité car en ce moment il est dans l’opposition.

Le toucher lui donne des informations sur les formes et les matières pour découvrir son environnement. Pour former une image globale de ce qui l’entoure, il utilise ses vicariants mais l’association d’images reste difficile. Contrairement à certaines idées reçues, l’enfant aveugle ne naît pas avec un sens du toucher hautement développé à la naissance comme une compensation de l’absence de la vision. Comme tout un chacun, il développe l’un ou l’autre des sens restants (les vicariants) selon sa propre personnalité et aussi ce que l’entourage aura privilégié. Raphaël a besoin de temps avant de toucher.

La compensation tactile ne serait pas spécifique à la précocité de la déficience mais plutôt au type de déficience ? Après éducation au toucher, les enfants aveugles précoces utilisent le toucher pour découvrir le monde mais il faut cependant qu’il soit accompagné dans ses explorations afin de pouvoir se construire des représentations globales des choses qui l’entourent. De même, les personnes aveugles tardives doivent apprendre à voir avec leur doigt et associer cette perception tactile à leur mémoire visuelle pour avoir une représentation mentale de l’objet. Pour les personnes malvoyantes précoces ou tardives, la compensation par le toucher est moins investi car le restant visuel leur permet de percevoir le monde qui les entoure. Donc, ne pouvons nous pas dire que la compensation tactile serait liée au type de déficience (malvoyance ou cécité) plutôt qu’à la précocité de la perte ? Toutes ses hypothèses ne peuvent être généralisées mais il serait intéressant de poursuivre ces réflexions avec d’autres professionnels qui travaillent dans le domaine de la déficience visuelle.

  • Le langage « excessif » en présence d’autrui semble être une compensation à la prise de contact visuel pour Raphaël et Mme B. En théorie, cet excès de langage est appelé verbalisme. Le verbalisme est présent dans les deux cas sous des formes différentes. Le verbalisme de Raphaël se caractérise par des questions dont il connaît la réponse, des récits répétitifs hors contexte ou des bruitages incessants avec la bouche. Il me semble qu’il utilise le verbalisme pour combler un vide angoissant et pour chercher à se rassurer. Alors que Mme B utilise le verbalisme pour dissimuler ses déficiences. Son discours est très construit, cohérent, imagé, coloré ce qui en ferait presque oublier sa déficience visuelle. C’est grâce à son restant visuel et sa mémoire visuelle qu’elle peut construire un tel discours. De plus, elle était professeur de dessin et photographe donc la vision est un sens qu’elle a beaucoup utilisé dans sa vie. Le verbalisme est spécifique à la déficience visuelle précoce et tardive avec des formes différentes en fonction de l’âge, la personnalité et l’environnement de la personne.
  • Comme je l’ai évoqué en théorie, la modification tonique est caractéristique de la déficience visuelle. Mais nous pouvons nous demander s’il n’y aurait pas une spécificité pour la déficience visuelle précoce et tardive ?

Les manifestations toniques de Raphaël et de Mme B sont différentes. Raphaël présente un développement tonique particulier, comparé à un enfant voyant car il n’a pas ou peu de référence, il s’est développé comme cela. Alors que pour Mme B, c’est une modification tonique qui peut être liée à l’appréhension suite à la perte de la vue. Avant son atteinte visuelle, elle devait avoir un autre tonus. Son état tonique actuel est une modification en réponse à sa déficience tardive. Le travail de régulation tonique n’a pas les mêmes objectifs dans le cas d’une déficience précoce et tardive. Avec Raphaël, le travail se fait au fil des expériences afin de lui apporter des nouvelles sensations (détente dans l’eau par exemple). Pour Mme B dont la malvoyance a entraîné ou majoré des troubles toniques, le travail permet de réduire ces troubles et de retrouver un tonus antérieur grâce au toucher thérapeutique et la relaxation par exemple. Pour les déplacements, Raphaël utilise sa perception des masses sans être gêné par son tonus alors que chez Mme B qui utilise sa vision périphérique, ses troubles toniques me semblent en lien avec ses chutes et sa marche rapide. Ainsi la déficience visuelle précoce et tardive entraîne des modifications toniques mais dans la première, c’est la construction qui en est modifiée et à laquelle le thérapeute doit s’adapter alors que dans la deuxième, c’est une modification du tonus à laquelle le patient doit s’adapter.

Le travail de compensation peut être compromis par les troubles associés.

Les troubles sont ils la conséquence ou sont ils indépendants de la déficience visuelle ? Il est difficile de délimiter avec précision les conséquences de la déficience visuelle des autres troubles (psychiatrique, sensoriel, ou moteur) et des liens entre les deux.

De même, l’évaluation du préjudice relatif entraîné par chacune des déficiences n’est pas évidente. Ces difficultés n’aident pas dans l’élaboration d’une prise en charge, mais un travail d’équipe peut amener des éléments très précieux.

Je fus très surprise de l’importance des troubles associés qui sont parfois plus handicapants dans la relation et l’établissement d’une prise en charge que de la déficience visuelle elle même.

Le déficit visuel fait parfois partie d’une atteinte polymalformative qui le relègue alors au second plan. Mais parce que l’atteinte visuelle est particulièrement frappante et rapidement décelable, l’entourage familial ou professionnel a tendance à mettre sur le compte de la cécité ou de la malvoyance un retard d’acquisition ou un trouble du comportement.

Dans le cas de Raphaël, il me semble que sa cécité soit la cause de son comportement en retrait et de la présence de blindismes. Du fait de sa pathologie, Raphaël présente une cécité fonctionnelle qui ne lui permet pas d’associer au niveau cérébral les perceptions lumineuses reçues par ses yeux. Son syndrome affecte également le domaine gustatif ce qui explique ses difficultés au moment du repas. Des progrès ont été fait au niveau de la participation en prenant lui-même la cuillère adaptée sur sollicitation verbale constante mais le repas est cependant un moment très long et sans plaisir pour Raphaël.

Raphaël présente sûrement une déficience intellectuelle mais non quantifiable car aucun test n’est adapté. Ces troubles de la relation et de la communication (blindisme et verbalisme) entraînent un désintérêt pour les autres enfants mais un investissement de l’adulte qui semble être rassurant pour lui.

Pour Mme B, je pense que sa malvoyance peut être à l’origine de ses chutes à répétition (du fait qu’elle ne peut détecter les obstacles visuellement et ne peut pas les anticiper). Dans le cas de Mme B, son caractère ambivalent, son surinvestissement de la parole, le désinvestissement de son corps, sa démotivation, ses problèmes auditifs appareillés et sa fragilité physique (ancienne fracture due à des chutes fréquentes) sont autant de paramètres à considérer dans la prise en charge. La malvoyance et la surdité (appareillée) de Mme B semblent endommagées ses relations avec les autres résidants. De plus, l’institutionnalisation est encore mal vécue.

Dans le cas de Mme B, il est intéressant de se demander si ses pertes sensorielles ne sont pas à l’origine de troubles psychiques tel que la démotivation car nous retrouvons beaucoup ce trouble en milieu gériatrique?

L’envie de la personne peut être entravée par l’institution. De plus, l’autonomie recherchée par les pratiques psychomotrices est contradictoire aux réalités de l’institution qui ne permet pas totalement la liberté de l’individu.

La démotivation constitue une limite à la prise en charge psychomotrice. Elle est fréquente en gériatrie. Elle est secondaire à des situations où l’individu est exposé à des échecs, des frustrations, des pertes de possibilités de choix qui conduisent à « faire de moins en moins » puis « ne plus avoir envie de faire ». Il peut s’agir d’un mode d’entrée dans la dépendance. Selon Thomas (cité par les auteurs de Gériatrie et basse-vision) la démotivation est à l’origine d’une perte d’intérêt pour les activités de la vie quotidienne, ce qui tend à accentuer un phénomène de désapprentissage et à terme expose la personne au risque de régression. La démotivation est caractérisée par le désintérêt, la perte d’initiative et de l’anticipation mais aussi le désinvestissement, la sidération affective, la négligence de soi comme de l’autre. Dans le cas de Mme B, la démotivation est suite à son institutionnalisation non désirée. L’investissement de la prise en charge psychomotrice a été long mais son intérêt pour ce temps est marqué par sa participation et l’élaboration d’une confiance au fil des séances.

3. Déficiences visuelles précoces et tardives en institution

Comment sont prises en charge les personnes atteintes de déficience visuelle précoce et tardive en institution ?

Dans le cas de l’IME, la déficience visuelle est présente et connue car c’est la condition d’entrée mais ce n’est pas pour autant que la déficience est très précise (du fait de l’importance des troubles associés).

A l’IME, la vue est contrôlée mais il est difficile de savoir exactement ce que voit l’enfant pour s’adapter au mieux à ses possibilités visuelles dans la prise en charge. Les conclusions des spécialistes de la vision (ophtalmologiste et orthoptiste) dépendent de la coopération de l’enfant. Les examens sont réguliers car les pathologies des enfants sont évolutives.

Il faut alors après observations très fines de son comportement visuel essayer différentes approches et voir comment il réagit et ce qu’il lui convient le mieux afin de le mettre dans une situation la plus adaptée. Ce dépistage obligatoire n’est t-il pas un rappel pour les parents sur le handicap de leur enfant ? Mais c’est peut être aussi un moyen pour mieux le connaître et s’adapter au mieux à leur enfant.

Au niveau psychomoteur, j’ai pu me rendre compte en pratique de la difficulté de faire passer un bilan psychomoteur à une personne déficiente visuelle. De nombreuses épreuves sont visuelles (épreuves d’imitation visuelle, test écrit) et difficilement adaptable. De plus, les troubles associés rendent l’adaptation double.

C’est pourquoi à l’IME, la psychomotricienne se base sur un bilan d’observation utilisé avec les enfants polyhandicapés. N’ayant pas réalisé le bilan de Raphaël, j’ai trouvé intéressant de l’observer aux différents moments de sa journée (dans le groupe piscine, sur son lieu de vie, en classe, avec les autres paramédicaux (orthoptiste et ergothérapeute) et au moment du repas. Toutes ses observations m’ont permis de mieux comprendre son fonctionnement et d’adapter mes propositions à la piscine.

Les troubles de la vue sont t-ils insuffisamment dépistés, évalués et traités dans les maisons de retraite ?

En maison de retraite, la déficience visuelle est quasi invisible. Elle n’est pas diagnostiquée, ni contrôlée systématiquement à l’entrée. Le nombre de sujets quasiment aveugles est plus important en maison de retraite que parmi les personnes âgées vivant à domicile.

Une importante corrélation entre troubles de la vue et troubles des fonctions cognitives est remarquée. Peut être parce que les tests cognitifs ne sont pas adaptés à la déficience visuelle ? Les troubles de la vue, très fréquents en maison de retraite, seraient très souvent négligés. Chez certains résidants, une amélioration significative pourrait être obtenue. Des programmes d’évaluation et de correction des troubles de la vue devraient être mis en place dans les établissements, intégrés dans une évaluation gérontologique globale des résidants. Ils contribueraient à améliorer l’autonomie et à élever la qualité de vie des résidants. Dans l’absolu, le dépistage est important s’il est à la demande de la personne et non pas pour évaluer les pertes mais surtout les possibilités restantes mais d’un autre coté nous pouvons nous demander si ce dépistage n’entraînerait t il pas des conséquences sur la fragilité psychique de la personne vieillissante ? Pourquoi quantifier leurs pertes si la personne s’est adaptée à sa manière à la situation ? Cependant sans aller jusqu’aux examens médicaux qui entraînent un déplacement pas toujours évident pour la personne âgée, je pense qu’il est important que la personne malvoyante tardive s’interroge sur sa vision et trouve des réponses auprès du personnel. Je pense qu’il faut éviter les non dit, de même sur l’institutionnalisation de la personne âgée malvoyante que je développerai ci-dessous.

Le fait que la vision de Mme B ne soit pas contrôlée ni suivie pour sa DMLA, amène des interrogations sur ses possibilités visuelles. Au niveau de l’équipe, la malvoyance de Mme B est plus ou moins connue mais elle n’a jamais fait l’objet d’attention particulière ce qui amène des problèmes. Le fait de « ranger » les choses dans sa chambre sans la prévenir amène Mme B à dire que les choses disparaissent ou à douter de ce qu’elle fait. Au niveau de la prise en charge, c’est avec la théorie sur la DMLA, mes observations et les dires de Mme B que j’ai essayé d’adapter au mieux la prise en charge. Je n’ai aucun renseignement sur l’évolution de sa DMLA. Il a été difficile d’aménager un bilan psychomoteur. Je me suis inspirée du bilan gérontopsychomoteur de Dupont que j’ai adapté en fonction de la malvoyance de Mme B. Avant de faire passer le bilan, j’ai pris le temps de m’entretenir avec Mme B pour lui expliquer mon travail et déceler ses attentes implicites. Cette première approche est une rencontre très importante pour la suite de la prise en charge.

Comme pour Raphaël, l’observation dans la vie quotidienne est une source d’information très intéressante pour orienter les objectifs du projet.

Si l’institutionnalisation de la personne âgée malvoyante n’est pas accompagnée, il est difficile pour la personne institutionnalisée d’investir ces nouveaux lieux et ses avantages (stimulations et accompagnements). Ce qui a été le cas pour Mme B.

Changer de lieu de vie est très difficile pour le sujet âgé déficient visuel. L’institutionnalisation après hospitalisation (c’est le cas de Mme B) se fait de manière de plus en plus contrainte et demeure traumatique. Ce nouveau mode de vie offre à la personne, avantages et inconvénients. Elle est déchargée de toutes les taches quotidiennes (course, préparation de repas, entretien). Elle peut être délivrée de tout ou partie de sa gestion financière ce qui est le cas de Mme B. En institution, la personne âgée n’est plus naturellement sollicitée par les multiples tâches de la vie courante et cela concourt à sa perte d’indépendance comme d’autonomie (liberté de choix) puis à sa démotivation pour effectuer les activités qui l’intéressaient. La personne âgée doit « être aidé à faire » et non « se voir faire ». Des liens, basés sur l’écoute, la collaboration et la confiance entre les membres de l’équipe et la personne âgée malvoyante doivent se créer. Il est essentiel que la personne malvoyante puisse exprimer son ressenti et ses difficultés face à son déficit visuel. Mais comme Mme B, certaine personne cache leur déficience ce qui ne permet pas ou peu de reconnaître leurs besoins et de les aider à mettre en place des stratégies compensatrices afin de garder un maximum d’autonomie.

En maison de retraite, il est difficile d’aménager l’espace spécifiquement aux handicaps visuels car la population accueillie est très hétérogène. Adapter l’espace aux personnes déficientes visuelles pourrait le désadapter pour des personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer qui n’ont pas les mêmes besoins au niveau de la luminosité par exemple. Les locaux ne sont pas spécifiquement adaptés à la déficience visuelle, pas de contraste, mauvaise luminosité sur les lieux de vie mais des règles imposent des adaptations comme dans l’ascenseur par exemple qui possède un repère audio et tactile qui est inutile car les personnes accueillies ne lisent pas le braille. Donc, il faut bien étudier les difficultés des personnes accueillies (en se mettant en situation par exemple) avant de faire des adaptations.

Malgré les bandes tactiles au sol de l’IME, il y a beaucoup d’améliorations à apporter au niveau des locaux. Dans les groupes de vie, un travail avec les paramédicaux (orthoptiste, ergothérapeute et psychomotricien) est fait pour adapter au mieux l’espace et le temps des enfants. Des repères tactiles et visuels (pour ceux qui peuvent) afin de les aider à être autonomes sur leur lieu de vie, vont être établis pour que chaque enfant ait sa place dans le groupe de vie.

Cependant, même si les locaux sont plus ou moins adaptés à la déficience visuelle, l’équipe doit être attentive au besoin de la personne comme sujet unique.

L’équipe institutionnelle n’est t-elle pas aveuglée par les besoins des patients ?

Des réflexions ont germé sur la place de la prise en compte de la déficience visuelle au sein de l’institution et par rapport à l’équipe.

La personne déficiente visuelle est différemment prise en charge par les équipes d’un IME spécialisé dans l’accueil des enfants déficients visuels avec ou sans troubles associés et par l’équipe d’une maison de retraite médicalisée.

L’équipe a tendance à « oublier la déficience et la malvoyance » du fait des compensations de chacun.

A l’IME, les éducateurs proposent aux enfants aveugles congénitaux de dessiner, c’est pourquoi les paramédicaux proposent des sensibilisations à la malvoyance et la cécité avec des interventions pratiques et théoriques. (Comptes rendus accessibles aux éducateurs, mise en situation sous bandeau ou lunettes de stimulation, 10 commandements à ne pas oublier….)

A la maison de retraite, aucune sensibilisation à la malvoyance ou la cécité n’est faite. Le personnel déplace les affaires des résidants qui ne les retrouvent plus, qui croient les avoir perdu ou qu’on leur a volées.

Un travail d’équipe, un échange de regard me semble indispensable pour optimiser la prise en charge des personnes déficientes visuelles.

La pluridisciplinarité (ou multidisciplinarité) consiste à faire coexister (que ce soit consciemment ou non) le travail de plusieurs disciplines à un même sujet d’étude. L’objectif de la pluridisciplinarité est ainsi d’utiliser la complémentarité intrinsèque des disciplines pour la résolution d’un problème.

Dans une équipe pluridisciplinaire, les différences de formations, d’objectifs, de priorités, de techniques ou de méthodes peuvent interpeller, choquer, déranger… Certains professionnels sont en grand nombre dans l’équipe, d’autres sont plus solitaires. La collaboration ne va pas toujours de soi. Elle ne s’instaure que si les membres de l’équipe ajustent leurs fonctionnements de manière complémentaire, déterminent et respectent leurs places réciproques et gèrent leurs émotions dans leur vie professionnelle. Entre conflit et créativité, le travail de l’équipe pluridisciplinaire nécessite d’être coordonné et harmonisé par ses responsables pour que chacun soit garanti dans son rôle.

Comme Le Roux (2001), je pense que l’intervention psychomotrice est à considérée dans sa spécificité et sa complémentarité avec l’équipe de la maison de retraite.

La spécificité psychomotrice réside dans la médiation corporelle dont les concepts théoriques, l’observation clinique et l’implication corporelle en font les bases. Le psychomotricien peut ainsi participer avec d’autre soignant à des soins tels que la toilette ou le bain thérapeutique pour confronter les regards et réfléchir ensemble sur la manière d’entrée en relation par le corps avec le patient lorsque cela semble difficile au premier abord. Le psychomotricien peut également intervenir avant un soin pour mettre le patient dans de meilleures conditions ou encore après un soin si celui-ci est susceptible de perturber le patient.

A un autre niveau, les transmissions écrites et orales permettent d’articuler le travail psychomoteur avec le projet d’équipe et de faire partager le sens de cette intervention médiatisée par le corps. Le partage de la démarche psychomotrice conduit à reconsidérer le corps dans une réflexion d’équipe.

Selon les auteurs de Gériatrie et basse vision, un travail en équipe est nécessaire. La basse vision justifie l’intervention diagnostique, thérapeutique et rééducative de bon nombre d’intervenant. Sa prise en charge doit par conséquent être interdisciplinaire faisant en sorte que tous les professionnels se coordonnent au mieux entre eux. Il est inconcevable (mais pourtant le cas) qu’ophtalmologiste, médecin généraliste, équipe de soins et de rééducation, aides à caractère social et psychologique travaillent sans échanger leur point de vue, les objectifs de leur travail ou leurs difficultés.

L’interdisciplinarité réside naturellement à toute sorte de prise en charge d’un individu ayant vécu une perte. Travailler sur « ce qui reste » impose l’ouverture d’esprit et la communion dans l’analyse et dans l’action de la part d’acteurs de formation différente. Parce qu’elle considère les champs de la gérontologie et de la rééducation, la prise en charge de la basse vision dans la population âgée est l’illustration parfaite de cette approche.

Mais la difficulté réside dans le fait de transformer ce qui apparaît souvent comme un concept en une pratique professionnelle. L’interdisciplinarité est avant tout une manière de se comporter dans son travail. Cela requiert une bonne maîtrise dans les domaines des relations humaines et sous entendu rigueur, professionnalisme et reconnaissance du travail de chacun.

Pour que l’interdisciplinarité ne soit pas seulement un mot mais une réalité, quatre idées s’imposent :

Une philosophie commune soit des valeurs (l’être humain, la vieillesse, la dépendance, le handicap…) et une motivation professionnelle et personnelle de chaque membre de l’équipe.

Un projet commun s’établit en équipe en s’adaptant aux besoins et désirs du résidant.

Une cohérence des actions repose sur une méthodologie commune et une reconnaissance des spécificités de chacun. Chaque professionnel garde sa spécificité de sa formation et de son rôle mais des passerelles doivent s’établir.

Une bonne communication soit orale ou écrite avec tous les membres de l’équipe.

Dans la pluridisciplinarité, nous retrouvons des prises en charge à des moments différents par des professionnels différents mais aussi des prises en charge de différents professionnels en même temps c’est ce que j’appelle « prise en charge à 4 mains » (expliquer ci-dessous).

L’approche « interdisciplinaire » permet d’éviter le morcellement de l’individu. La psychomotricité permet d’unifier l’individu sur le plan physique et psychique. La vision a un rôle important dans le développement psychomoteur global de l’enfant. Afin d’éviter le morcellement de l’enfant entre le développement de sa vision et des autres sens, il est intéressant de faire des prises en charge à 4 mains. Grâce à l’activité multi sensorielle le jeune enfant déficient visuel acquiert ses compétences.

La prise en charge à 4 mains fait partie du projet de l’individu. Elle peut être envisagé dans plusieurs cas : -dans la prise en charge précoce (avant 1 an) pour optimiser le développement global de l’enfant ou diminuer la fatigabilité de l’individu polyhandicapé

-dans un retard de développement (sur le plan moteur, psychomoteur, intellectuel ou relationnel)

-quand la personne est trop dispersée et que la prise en charge individuelle paraît impossible.

Ce type de prise en charge peut permettre à l’enfant de progresser plus rapidement mais elle est souvent malheureusement difficile à instaurer du fait des emplois du temps peu compatibles des rééducateurs.

Une coordination régulière avec tous les intervenants de l’équipe auprès de l’individu est indispensable pour tous les ajustements de projet en fonction de son évolution et il serait important de rencontrer régulièrement l’entourage.

Afin d’élaborer cette discussion, j’ai rencontré des professionnels travaillant dans le domaine de la déficience visuelle comme des ophtalmologistes, des orthoptistes, des psychomotriciennes et des instructrices en locomotion. Ces échanges professionnels ont été très enrichissants et m’ont permis de prendre du recul sur ma pratique psychomotrice. De plus, ils m’ont ouvert les yeux sur d’autres pratiques comme la rééducation en locomotion qui s’appuie sur des bases psychomotrices. Les personnes déficientes visuelles m’ont beaucoup appris sur leur monde qui fait partie du nôtre. Je n’oublierai pas que chacun d’eux est unique par son caractère et sa personnalité et non pas seulement par ses problèmes visuels.

CONCLUSION

Ce mémoire proposait d’apporter une réflexion sur le parallèle entre la prise en charge psychomotrice et sensorielle d’un enfant aveugle précoce et d’une personne âgée malvoyante tardive. Les points communs et les différences, dégagés de mes observations cliniques sur mes lieux de stage, ne sont pas généralisables, mais j’aimerai pouvoir approfondir mon début de réflexion avec d’autres professionnelles dans ma pratique professionnelle future.

Mes recherches théoriques sur la vision, la déficience visuelle et la psychomotricité auprès de ces populations m’ont permis de prendre conscience de la complexité des troubles de la vision.

Au cours de mes stages, des liens théorico cliniques se sont construits et m’ont permis d’observer des différences et des points communs dans les domaines de compensation et les retentissements psychomoteurs.

Dans ce contexte, il m’a semblé que l’approche corporelle et sensorielle présentait de nombreux avantages pour la prise en charge des personnes déficientes visuelles précoces et tardives. Il a été intéressant de réfléchir sur le choix du médiateur en fonction de la précocité de la déficience (médiateur « eau » et toucher thérapeutique). Il serait intéressant de prolonger cette réflexion avec d’autres médiations et d’autres patients.

Au cours de mes prises en charge, j’ai pu remarquer que les personnes déficientes visuelles précoces et tardives utilisent des domaines de compensation, à la fois choisis mais aussi « imposés » à la personne en fonction de sa déficience, de la précocité de cette dernière et de l’existence ou non de troubles associés qui peuvent engendrer le travail de compensation de la perte visuelle. Les domaines de compensation sont indispensables à l’apprentissage de la locomotion (déplacement autonome et sécurisé).

Les personnes déficientes visuelles précoces et tardives ont besoin de bien connaitre leur corps et de savoir utiliser leurs sens restants pour trouver leur place dans notre monde de voyant. Je pense que la pratique psychomotrice et les stimulations sensorielles peuvent aider ces personnes à être dans leur corps et à être dans le monde avec les autres. Il m’a semblé important de parler de l’environnement des institutions qui accueillent des personnes déficientes visuelles précoces et tardives. Il serait intéressant d’observer d’autres structures pour comprendre comment ces dernières aident les personnes atteintes de déficiences visuelles à communiquer et à comprendre leur environnement.

Ces expériences et ces réflexions m’ont appris à voir la personne dans sa globalité. Le psychomotricien doit porter un regard global sur la personne déficiente précoce et tardive.

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Sites :

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Autres :

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LEXIQUE

Acuité visuelle : c’est la capacité de résolution et de discrimination mesurée par l’ophtalmologiste avec la perception de lettres à une certaine distance. Elle permet de voir les détails très fins et d’apprécier les formes, c'est-à-dire les détails spatiaux mesurés par l’angle sous lequel ils sont vus.

Adaptation : sensibilité de l’œil au changement d’intensité lumineuse, soit adaptation à l’obscurité, soit adaptation à la lumière.

Champ visuel : c’est l’étendue de l’espace qui embrasse le regard, l’œil étant immobile soit l’aire totale couverte par un regard constant avec un point de fixation fixe. Le champ visuel d'un oeil s'insert latéralement sur 90 degrés, en hauteur 60 degrés et en bas 70 degrés soit un champ binoculaire latérale de 180 degrés. Son étude permet d’étudier la valeur fonctionnelle de la rétine.

Cristallin : c’est une lentille biconvexe et suspendue dans l’œil par le ligament suspenseur du cristallin attaché au corps ciliaire (anneau de tissu épais qui entoure le cristallin), permettant la projection des images sur la rétine. C’est la seule structure réfractrice dynamique (adaptable) de l’œil.

"Le handicap rare correspond à une configuration rare de déficiences ou de troubles associés, incluant fréquemment une déficience intellectuelle, et dont le taux de prévalence ne peut être supérieur à un cas pour 10 000 habitants. Sa prise en charge nécessite la mise en oeuvre de protocoles particuliers qui ne sont pas la simple addition des techniques et moyens employés pour compenser chacune des déficiences considérées."

Sont atteintes d'un handicap rare les personnes présentant des déficiences relevant de l'une des catégories suivantes :

-
L'association d'une déficience auditive grave et d'une déficience visuelle grave,
-
L'association d'une déficience visuelle grave et d'une ou plusieurs autres déficiences.
-
L'association d'une déficience auditive grave et d'une ou plusieurs autres déficiences ;
-
Une dysphasie grave associée ou non à une autre déficience ;
-
L'association d'une ou plusieurs déficiences graves et d'une affection chronique, grave ou évolutive, telle que : une affection mitochondriale, une affection du métabolisme, une affection évolutive du système nerveux, une épilepsie sévère.

La déficience visuelle peut s'inscrire dans une maladie ou un syndrome particulier souvent rare comme : Alstrom, Bardet-Biedl, Bourneville, Cohen, Hermanski Pudlack, Laurence Moon, Leber, Lowe, Mac Farlane, Morsier (Kallmann), Peters, Smith-Magenis, Sturge Weber, Trisomie 21, Von Recklinghausen, Wagr, West … et d'autres syndromes malformatifs d'origine inconnue.

Le multihandicap est un handicap à part entière qui ne peut être défini par aucun de ses composants.

Le plurihandicap est une association circonstancielle de deux ou plusieurs handicaps avec conservation des facultés intellectuelles.

Le polyhandicap est un handicap grave à expression multiple avec déficience motrice et déficience mentale sévère ou profonde entraînant une restriction extrême de l’autonomie et des possibilités de perception, d’expression et de relation.

Hypermétropie : à l’inverse de la myopie, le globe oculaire serait trop court. Par conséquent, l’image d’un objet, surtout s’il est proche, se forme en arrière de la rétine.

Hypophyse : c’est une glande qui se situe à la base du cerveau. Son action se fait par l’intermédiaire d’autres hormones qui régulent l’ensemble des glandes endocrines de l’organisme.

Nerf optique : il conduit les stimuli nerveux vers le cerveau où l’image est interprétée.

Photorécepteurs : cellule rétinienne qui assure la transformation de la lumière en influx nerveux. Il existe deux types de photorécepteurs : les cônes et les bâtonnets. Les cônes servent à la vision photopique (en pleine lumière), à la discrimination des détails fins, de couleurs et sont essentiellement concentrés au niveau de la macula. Les bâtonnets servent à la vision scotopique (vision nocturne) et sont sensibles au mouvement et ne détectent que les formes globales.

Rétine : membrane du fond de l’œil, sensible à la lumière et composée de cellules nerveuses se continuant dans le nerf optique.

La rétine, structure complexe, est composée d’une partie pigmentaire (contient de la mélanine et empêche la diffusion de la lumière dans toutes les directions) et d’une partie nerveuse. La partie nerveuse contient des photorécepteurs (les cônes et les bâtonnets), des neurones bipolaires et des cellules ganglionnaires. Les cellules réceptrices (photorécepteurs) subissent des altérations chimiques par excitation lumineuse qui génèrent des influx nerveux et qui, via le nerf optique (axones des cellules ganglionnaires), parviennent aux aires visuelles occipitales du cerveau. L’endroit où le nerf optique quitte l’œil est appelé « tache aveugle » du fait de l’absence de cellules réceptrices en ce lieu. La macula ou (la tache jaune) dont le centre est appelé fovéa (légère dépression dans l’épaisseur de la rétine) reçoit le faisceau lumineux. Au niveau de la fovéa, lieu de la meilleure acuité visuelle, les cônes montrent une densité maximale qui décroît rapidement à la périphérie. En revanche, les bâtonnets absents de la fovéa ont leur densité maximum à 20 degrés de celle-ci. De plus, les bâtonnets permettent la vision périphérique, la vision du mouvement et la vision en noir et blanc alors que les cônes permettent la vision centrale et précise ainsi qu’en couleur.

Vision stéréoscopique ou vision en profondeur (en relief, en 3D) : c’est la superposition des deux champs visuels (champ de fusion) du fait de la convergence des deux axes optiques des deux yeux vers le même objet. Au niveau des hémisphères cérébraux, la partie extérieure du champ visuel droit va être analysée par le cortex gauche et inversement.

ANNEXES

Annexe de la page 7- 8 (1.2. La cécité)

  • Cécité complète : absence totale de perception de lumière, (catégorie 5 de la CIM10),
  • Quasi-cécité : quand l'acuité visuelle est égale ou inférieure à 1/20 d'un oeil, celle de l'autre étant inférieure à 1/20, avec déficience des champs visuels périphériques lorsque le champ visuel n'excède pas 20° dans le secteur le plus étendu.
  • Cécité professionnelle : quand l'acuité visuelle du meilleur oeil après correction est inférieure ou égale à 1/20, ou dont le champ visuel est inférieur à 20° dans son secteur le plus étendu, (catégorie 3 de la CIM-10).
  • La mention Cécité sera apposée sur la carte d'invalidité (mention « étoile verte ») des personnes dont la vision est nulle ou inférieure à 1/20 de la normale.
  • La mention Canne blanche sera apposée sur la carte d'invalidité des personnes dont la vision est au plus égale à 1/10 de la normale.

Annexe de la page 8 ( 2. Classifications)

Article 174 du Code de l'aide sociale (loi du 30 juin 1975), Guide barème pour l'évaluation des déficiences et incapacités des personnes handicapées. Décrets n° 93-1216 et 93-1217 du 4 novembre 1993 et le décret n°77-1549 du 31 décembre 1977 Classification Internationale des Handicaps : Déficiences, Incapacités, désavantages. OMS, CTNERHI/INSERM 1998

Catégorie OMS Conditions sur l'acuité Type d'atteinte Type de déficience
visuelle et du champ visuelle (CIM-10) visuelle (CIH)
visuel
Catégorie I Acuité visuelle corrigée binoculaire <3/10 et > ou = à 1/10 avec un champ visuel d'au moins 20 Basse vision ou malvoyance Déficience moyenne
Catégorie II Catégorie III Catégorie IV degrés Acuité visuelle corrigée binoculaire <1/10 et > ou = à 1/20 Acuité visuelle corrigée <1/20 et > ou = à 1/50 ou champ visuel < à 10 degrés mais > à 5 degrés. Acuité visuelle < à 1/50 Cécité Déficience sévère Déficience profonde Déficience presque
Catégorie V mais perception lumineuse préservée ou champ visuel < à 5 degrés. Cécité absolue, absence de perception lumineuse. totale Déficience totale

Sources

Résumé

La déficience visuelle est un terme complexe qui rend chaque personne atteinte unique. L’enfant aveugle congénital et la personne âgée malvoyante ont des développements et évolutions différentes. Cependant, dans les deux cas, l’approche corporelle et sensorielle leur permet respectivement de construire ou de consolider leur schéma corporel et d’acquérir ou conserver une autonomie. En utilisant leur corps et leurs sens restants comme support, ils pourront s’ouvrir et s’adapter au monde environnant. Les cas cliniques illustrent les biens faits et les limites de ces approches. Des réflexions ont germé sur les besoins individuels de chaque personne déficiente visuelle au sein d’une équipe institutionnelle.

Mots clés : psychomotricité, déficiences visuelles, approche corporelle et sensorielle, enfant aveugle et personne âgée malvoyante

Summary

The visual deficiency is a complex term which makes every affected person unique. The innate blind child and the visually impaired elderly have different developments and evolutions. However, in both cases, the physical and sensory approach allows them respectively to build or to strengthen their body image and to acquire or to keep their selfsufficiency. By using their body and their remaining senses as support, they will be able to be aware of the surrounding world and to adapt themselves to it. The clinical cases illustrate the benefits and the limits of these approaches. Reflections within an institutional team germinated on the individual needs of each visually deficient person.

Keywords: psychomotricity, visual deficiencies, physical and sensory approach, blind child and visually impaired elderly people.